Iatrogénie médicamenteuse : les pratiques en question

Le risque de iatrogénie médicamenteuse augmente avec l’âge et la polypathologie. Dans une majorité des cas, elle est évitable. Au-delà des bonnes pratiques professionnelles et du bon usage du médicament, c’est aussi la concertation pluriprofessionnelle et la culture de la déclaration qui peuvent améliorer l’existant.

Face à l’enjeu de santé public qu’elle représente – 128 000 hospitalisations et 8 000 à 12 000 décès par an –, la iatrogénie médicamenteuse fait l’objet d’une réglementation de plus en plus exigeante. Mais le combat est de longue haleine car le risque de iatrogénie médicamenteuse est multifactoriel : il regroupe tous les effets indésirables provoqués par les médicaments, en dehors d’un mésusage volontaire. Dans 50 à 70 % des cas, ces événements seraient évitables, car émanant de soins inappropriés : suivi médical insuffisant, mauvaise gestion des traitements, information et communication inappropriée…

Iatrogénie médicamenteuse : les personnes âgées en première ligne

Le risque iatrogène est accentué dans certaines populations. On pense notamment aux « enfants dont la maturation des fonctions biologiques est lente et pour lesquels le manque de formulations adaptées rend l’usage hors autorisation de mise sur le marché (AMM) fréquent » explique Daniel Antier, responsable de la pharmacie du CHU de Tours. Mais ce sont les personnes polymédiquées et donc les personnes âgées qui sont les plus nombreuses à encourir un risque : la iatrogénie médicamenteuse serait ainsi responsable de plus de 10 % des hospitalisations en urgence des plus de 65 ans, et 20 % chez les plus de 75 ans.

Chaque professionnel doit donc porter un regard vigilant sur la thérapeutique de ces patients. Hormis les interactions médicamenteuses résultant directement de la multiplication des prescriptions, d’autres paramètres issus de la  clinique doivent être pris en compte. La dénutrition et la déshydratation, qui modifient la distribution des médicaments dans l’organisme, ainsi que les transformations de certaines fonctions physiologiques liées à l’âge (rénale, hépatique, cardiaque…), nécessitent une adaptation des posologies ou des classes thérapeutiques utilisées. Et tout événement de santé intercurrent demande la plus grande vigilance.

« Chez le sujet âgé, les événements indésirables médicamenteux résultent aussi des classes thérapeutiques à risque couramment prescrites », explique ce pharmacien : antihypertenseurs, anticoagulants, antiagrégants, diurétiques, psychotropes. « Beaucoup sont des médicaments à marge thérapeutique étroite, pour lesquels les doses efficaces et toxiques sont très proches. Il faut donc étroitement les surveiller ». Le réflexe iatrogène doit être systématisé : chaque nouveau symptôme doit poser la question d’une éventuelle origine iatrogène, que ce soit à la faveur d’une nouvelle prescription, ou d’un événement aigu de santé.

Concernant le médicament lui-même, les établissements de santé et les Omedit (Observatoire du Médicament, des Dispositifs médicaux et de l’Innovation Thérapeutique) régionaux tiennent à jour des listes de médicaments à proscrire ou à utiliser préférentiellement chez les sujets âgés. Par ailleurs, explique Doreya Monzat, pharmacien (Omedit Haute-Normandie) « en modifiant la façon dont le principe actif est libéré dans l’organisme, la transformation d’un médicament solide – que ce soit par écrasement d’un comprimé ou ouverture d’une gélule, expose à des risques iatrogènes, dus à l’inefficacité ou au surdosage ». Pour aider les soignants, ce dernier a rédigé un document exploitable en pratique infirmière repris et réactualisé aujourd’hui par l’Observatoire et la SFPC (Société Française de Pharmacie Clinique). Quels sont ceux qui peuvent être écrasés, ouverts ? Quels sont ceux qui ne le peuvent pas ? Quelles sont les alternatives ?

Iatrogénie médicamenteuse : une méthodologie systématique

Lutter contre la iatrogénie, c’est repérer les patients à risque, analyser la pertinence de leurs prescriptions, par rapport à leur situation clinique, et entre elles. C’est s’assurer du respect de leur bon usage, de leurs modalités d’administration, de leur prise et de leur tolérance. C’est aussi se pencher sur le fonctionnement et l’organisation des professionnels, depuis la prescription jusqu’à l’administration, car la prévention de la iatrogénie est transversale.

Une ordonnance au long cours ne devrait pas être renouvelée sans réévaluation. La hiérarchisation et le toilettage de l’ordonnance des personnes polymédiquées est aujourd’hui recommandée : elle demande d’abord à lister l’ensemble des médicaments pris, ce qui peut être une gageure au domicile. L’infirmière, comme le pharmacien d’officine, peuvent aider à la récupération de cette information. Il s’agit ensuite de hiérarchiser les maladies et les objectifs thérapeutiques, avant d’établir une prescription plus adaptée au patient dans sa globalité (clinique, autonomie…).

« La capacité du patient à gérer et suivre ses traitements est primordiale et peut être renforcée par l’infirmière » explique la gériatre Céline Delécluse (Réseau de soins gérontologiques Lille Agglo). Elle peut d’ailleurs faire l’objet d’un programme d’éducation thérapeutique spécifique, à l’image du programme OMAGE (Optimisation des Médicaments chez le sujet AGE).

Iatrogénie médicamenteuse : le réflexe réseaux

« Les réseaux de soins gérontologiques peuvent apporter une coordination d’appui méthodologique intéressante pour les libéraux, ajoute Céline Delécluse. Une infirmière libérale peut contacter le réseau de son territoire directement, ou par le biais du médecin traitant. En accord avec lui, le réseau peut accompagner la sortie d’hospitalisation ou apporter son expertise auprès des patients à domicile ».

Au sein du réseau lillois, c’est un tandem spécialiste/ infirmière formée à la gériatrie qui se rend au domicile. Ils utilisent l’outil PMSA-réseaux (Prescription Médicamenteuse chez le Sujet Âgé). « Chacun dans le respect de son expertise, focalise son intervention sur la recherche de prescriptions inappropriées, de mésusage, de mauvaise observance. Le gériatre réalise une évaluation gériatrique standardisée et peut proposer une revue d’ordonnances », précise-t-elle. Leur rôle est ensuite de proposer des actions correctrices, d’alerter et sensibiliser tous les professionnels impliqués auprès du patient.

Caroline Guignot
Article publié dans le magazine ActuSoins n° 18. Pour vous abonner, c’est ICI

Pour aller plus loin : réduire l’iatrogénie médicamenteuse chez la personne âgée 
quels médicaments peut-on écraser ou ouvrir ?

La simulation en soutien

Qu’il s’agisse de gestes techniques ou de conduites à tenir, la simulation est une méthode retenue par le programme national pour la sécurité des patients comme méthode d’amélioration des pratiques. Au CHU de Nîmes, Elodie Saadat, infirmière en néonatologie travaille sur un tel projet : « la manipulation de médicaments d’urgence sur des nouveaux-nés peut être particulièrement stressante le moment venu. Le projet consiste à recréer le quotidien sur un mannequin autour duquel nous pourrions répéter les gestes, les protocoles. Cela permet d’avoir une plus grande dextérité et de meilleurs réflexes en situation réelle ».

Au CH de Dinan, la pharmacie a mis au point une chambre des erreurs mobiles qu’elle installe périodiquement dans les différents services. Un mannequin perfusé et sondé y est installé sur un brancard. À côté de lui, le chariot de soins. « Nous devons identifier toutes les erreurs qui ont été commises. Cela peut être au niveau de l’identification du patient ou du médicament, de la posologie ou des contre-indications… », décrit Alexa Auffray, infirmière. Objectif : permettre aux soignants d’acquérir des réflexes autour d’un patient lambda. Un moyen de réduire la fréquence d’erreurs classiques et facilement évitables.

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