Nécroses cutanées : quand et comment les conserver ?

La prise en charge des nécroses cutanées passe dans une grande majorité des cas par l’étape d’une détersion mécanique et/ou autolytique, voire chirurgicale. Mais dans un certain nombre de situations très particulières, un traitement conservateur s’impose. Dans ces cas-là, c’est la momification de la zone nécrosée qui sera recherchée.

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Les situations conservatrices des nécroses

Schématiquement, le choix de conserver les nécroses relèvent de trois situations distinctes. La première correspond à la nécessité de se donner un « temps diagnostic ». C’est le cas notamment quand il faut attendre le statut vasculaire du patient : par exemple, lors d’ulcérations artérielles des membres inférieurs ou d’escarres du pied de la personne âgée. La deuxième situation répond à une recherche d’un « temps thérapeutique » : on vise alors la délimitation de la souffrance ischémique des ulcérations par l’obtention d’un sillon d’élimination  (gangrène sèche), le but étant de limiter l’amputation aux zones nécrotiques. Enfin, le dernier contexte relève des situations où la détersion de la plaie ou l’amputation n’est pas réalisable, ou refusée. Quelle que soit le contexte, l’objectif doit être posé en collaboration étroite entre l’équipe médicale, les infirmiers le chirurgien et le patient.

Conservation des nécroses : les difficultés rencontrées

Dès que l’objectif de conserver les nécroses est clairement posé, les choses ne vont pas aller de soi pour autant. Le choix conservateur de la nécrose ne doit pas se concevoir comme un « non soin ». Tout d’abord la qualité du contrôle local de ces nécroses devient déterminante.

L’évaluation de l’étendue et de la profondeur de la nécrose est souvent difficile à apprécier. Ensuite, la gestion et la qualification des odeurs est primordiale. Il faudra savoir dépister et différencier les odeurs classiques de la nécrose et celles qui sont le signe d’une surinfection.

D’autre part, la réfection du pansement est souvent appréhendée par le patient, d’autant plus que la douleur provoquée par cet acte engendre du stress et de l’anxiété. De plus, dans la plupart des cas, l’image d’une zone qui se nécrose entraîne des ressentis. Cela n’est pas sans effet sur le patient et son entourage, ni sur ceux qui le soignent. L’écoute de la souffrance du patient et de son entourage, d’une part, et la collaboration étroite des soignants, d’autre part, doivent permettre une cohérence et une compréhension du sens des soins. Une information de qualité par rapport à l’objectif recherché doit être toujours apportée pour pouvoir dédramatiser, soutenir, et appréhender ces situations.

Conservation des nécroses : prise en charge générale

Conserver les nécroses suppose une surveillance étroite sur le plan infectieux. En effet, la prévention et le traitement de l’infection est un élément clé de la prise en  charge. Ensuite, les possibilités thérapeutiques générales seront utilisées en fonction des résultats des examens et suivant l’évolution de chaque situation clinique.

Dans tous les cas, une surinfection engendrera souvent un changement de prise en charge qui fera envisager le plus souvent un geste opératoire.

Conservation des nécroses : prise en charge locale

Localement, la prise en charge nécessite la surveillance étroite et l’évaluation de l’étendue de la nécrose. Les bords doivent être décrits : bordure érythémateuse et/ou violacée, bordure plus ou moins délimitée, présence ou non du sillon d’élimination. Toute collection hématurique ou purulente doit être dépistée en soulevant doucement la bordure si besoin. L’observation de la zone périlésionnelle comprend la recherche de tout placard hypodermite chaud.

Vouloir conserver la nécrose impose d’interdire tout geste de détersion et toute utilisation de produit détersif. Pour délimiter cette zone nécrotique, il faudra également être très attentif à la qualité de la peau proche de la nécrose.

Ainsi le soin de la plaie nécrotique aura plusieurs objectifs :

  • assécher les lésions nécrotiques humides pour empêcher la multiplication des germes, c’est-à-dire éviter toute macération car l’humidification des lésions augmente considérablement le risque d’infection locale ;
  • maintenir les nécroses sèches pour obtenir une momification ;
  • protéger et préserver au mieux la peau périlésionnelle.

1) Les traitements

Quelques produits permettent d’offrir une réponse à ces objectifs :

  • Les pansements alginates : polysaccharides naturels, extraits des parois cellulaires d’espèces d’algues brunes, ils se présentent sous la forme de plaque ou de mèche. Outre leur propriété hémostatique, leur pouvoir d’absorption et leur capacités bactériostatiques leur confèrent une place intéressante dans ces prises en charge. Ils seront préférés aux hydrofibres qui, se transformant en gel au contact des exsudats, enclencheraient une détersion autolytique.
  • Les pansements au charbon : ces pansements constitués de tissu de charbon actif, plus ou moins associés à une compresse, sont intéressants pour leur capacité à absorber les odeurs, très présentes.
  • La Bétadine® dermique : solution qui permet une asepsie de la zone, tout en tannant la peau.
  • Le Flammacerium® : cette crème stérile composée d’association de sulfadiazine argentique (1 g/100 g) et de nitrate de cérium (2,2 g/100 g) constitue le produit de détersion retardée des brûlures du 3e degré (produit exclusivement hospitalier). Utilisée par certaines équipes, cet antibactérien local, du fait de son action anti  infectieuse et anti-inflammatoire, se combine chimiquement à la nécrose pour la calcifier et former une carapace à la surface de la plaie. Le mode d’utilisation de ce produit interdit tout lavage de la plaie : en effet il faudra se contenter d’essuyer le surplus de crème et d’en remettre sur la nécrose (tous les jours durant huit jours, puis un jour sur deux).

2) Retours d’expérience

Concernant la littérature, l’expérience de l’équipe du CHU de Rennes souligne l’intérêt de l’application du pansement au charbon Actisorb® dans la prise en charge locale des ulcérations distales dans un contexte AOMI (1). Deux autres travaux des équipes montpelliéraines mettent en évidence le service rendu par le Flammacerium® pour la stabilisation de la nécrose sur des plaies chroniques (2) (3).

De même, Isabelle Fromantin, infirmière à l’Institut Curie et titulaire d’une thèse Sciences et ingénierie, évoque cette pratique sur des plaies en oncologie (4).

En outre, nos retours d’expérience mettent en exergue l’impératif d’un lavage soigneux des plaies (sauf si Flammacerium®) et des soins de la peau périlésionnelle.

Les arguments pour choisir les indications de tels ou tel produits peuvent être classés selon la localisation, l’exsudat et le pronostic en jeu. En l’absence d’écoulements, la réalisation d’un pansement « sec » est possible. Le moindre écoulement doit imposer un pansement absorbant. Habituellement, les indications de Flammacerium® sont réservées aux patients présentant un très haut risque infectieux et/ou douloureux.

En ce qui concerne le choix du pansement secondaire il est tout aussi important : il doit être confortable et conformable. Si des compresses doivent être utilisées, le choix doit se porter de préférence sur des non tissées, ce qui facilite le retrait, ou sur un bandage tubulaire  type Tubifast® qui évite tout risque de frottement et de compression de la zone soignée.

Conservation des nécroses : principes fondamentaux

La collaboration étroite entre équipes médicales/ chirurgicales et les infirmiers est indispensable.

Lorsqu’il est décidé de conserver les tissus nécrosés dans une plaie :

  • L’objectif doit être explicité et partagé par tous, y compris par le patient, afin de donner un sens aux soins.
  • Le pronostic final dépend en grande partie de la gestion du risque infectieux : la différenciation clinique entre la gangrène sèche ischémique et la gangrène humide avec infection est fondamentale.
  • Il est impératif de ne pas ramollir ces nécroses. La cohérence du choix du protocole par l’infirmier passe par l’intégration de différents éléments qui pourront faciliter le geste du soin, sans compromettre la qualité de la prise en charge. Il faut tenir compte de la localisation de la nécrose, de sa taille, de sa localisation, de la présence ou non d’exsudat (pas de crème dans les espaces interdigitaux au niveau des orteils)
  • L’intégration par le patient de son image corporelle avec ces zones dévitalisées est très largement dépendante des interactions à l’autre : les regards et les mots que les infirmiers auront envers le patient sont essentiels.

Quelques situations cliniques et leurs évolutions suivant le choix du traitement local

Des cas cliniques sont présentés ci-dessous afin d’appréhender les résultats observés suivant les protocoles mis en place.

Patiente AOMI, inopérable
Nécroses distales en lien avec une ischémie critique

Stabilisation des nécroses avec application d’alginate et Actisorb®

Patiente de réanimation sous catécholamines
Nécroses distales en lien avec des spasmes des artères de moyen calibre

Stabilisation des nécroses après nettoyage soigneux des lésions et application de Bétadine® dermique quotidiennement.


Patiente dans un contexte immunosuppression stade terminal HIV+
Nécroses sur lésions d’origine de surinfection mycosique

Stabilisation obtenue avec l’application de Flammacerium®, et meilleure gestion de la douleur.

Situation oncologique : suite à une néoplasie ORL non opérable
Nécroses suite à l’échec de lambeau

Stabilisation au long cours avec Flammacerium® et réduction de la douleur.

Conservation des nécroses : préconisations

(proposées lors du dernier congrès national Journées Cicatrisations 2017 à Paris)

  • Nécrose sèche : pansement de propreté, laissée à l’air si possible.
  • Nécrose peu humide : lotion tannante et asséchante (ex Bétadine® dermique).
  • Nécrose humide sans signe infectieux : pansement drainant, absorbant et asséchant : alginate, pansement au charbon.
  • Nécrose douloureuse et/ou en regard d’une articulation ou contact osseux : Flammacerium®.
  • Nécrose infectée : chirurgie.

Bibliographie

1. Allain A. & Lucas A. (2007). Prise en charge locale des stades 4 distaux dans l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs. Protocole et observations après 5 années d’expérience. JPC. Journal des plaies et cicatrisations, (58), 53-56. Nécroses cutanées – 01/01/06
2. Signe-Picard C. & Cerdan M. I. (2008). Intérêt de l’utilisation du Flammacerium® pour la stabilisation de la nécrose sur les plaies chroniques avec contre-indication à la détersion. JPC. Journal des plaies et cicatrisations, (65), 35-41.
3. Communication JC 2017 – Traitement local de l’escarre : intérêt du Flammacerium® – Julian Vitse (2017).
4. Fromantin Isabelle., Kriegel I., Baffie A. & Téot L. (2013). La place du Flammacerium® dans la prise en charge des plaies complexes en oncologie. Journal des Plaies et Cicatrisations, 90(XVIII), 25-28. n

Sylvie Palmier

Infirmière consultante plaies et cicatrisation

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Cet article est initialement paru dans le n°24 (avril 2017) d’ ActuSoins Magazine.

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