Au Cameroun, l’hôpital des plaies « inguérissables »

Lové entre des montagnes brumeuses recouvertes de plantations, un édifice en béton délabré abrite une expérience inédite en Afrique centrale : un hôpital entièrement dévoué aux plaies et à leur cicatrisation. A l’intérieur, une quarantaine de patients sont soignés par des infirmiers et infirmières spécialisés. Article paru dans le n°30 d'ActuSoins Magazine (septembre 2018). 

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Au Cameroun, l’hôpital des plaies inguérissables

Au fond, une patiente enroule une bande après l'avoir lavée. Les patientes achètent leurs bandes, pansements, gants... à la pharmacie de l'hôpital et doivent laver quotidiennement les bandages réutilisables et les bandes de contention. © Adrienne Surprenant

“Je dis souvent que le soin des plaies, c’est l’enfant pauvre de la médecine en Afrique” déclare le docteur Soumélé, fondateur de l’Hôpital des plaies et de la cicatrisation de Balaveng. Au Cameroun, les plaies de plus de six mois sont souvent associées à la sorcellerie et les patients rejetés du fait de “l’odeur, de la lenteur du traitement et du peu d’argent que ce soin rapporte”, regrette le Camerounais, praticien au CH de Perpignan. Situé à Balaveng, dans l’Ouest du Cameroun, cet établissement, surnommé l’hôpital des plaies « inguérissables » par les patients, est souvent leur dernier recours.

Ainsi, Prince Isaac Ndongo, 68 ans, a vu les portes des autres hôpitaux se fermer les unes après les autres. “D’un hôpital à l’autre, le diagnostic changeait : problèmes de prostate, AVC, Parkinson…”, énumère Jeanne*, sa femme, d’une voix chevrotante. En 2016, paralysé sur un lit de l’Hôpital Central de Yaoundé, il développe des escarres. “On nous a renvoyé de l’Hôpital Central vers celui de Mvog Beti. Là, ils se sont contentés de rire, disant que c’était difficile à soigner. Puis ils nous ont chassé à leur tour”, raconte-t-elle pendant que Marie Coutand, 23 ans, panse les escarres au dos, à la fesse, et aux talons de Prince. Cette infirmière française, en volontariat à Balaveng, en mèche une, pose une compresse Cello Start sur l’autre… 

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Des infirmières spécialisées sur le terrain

L'infirmière française, Marie Coutand, en coopération au Cameroun, change les pansements sur les escarres de ce patient

L'infirmière française, Marie Coutand, en coopération au Cameroun, change les pansements sur les escarres de ce patient. © Adrienne Surprenant.

Ses vingt collègues camerounais à l’hôpital des plaies sont, soit infirmiers, soit aides-soignants. Au cours de formations prodiguées par l’Association d’aide médicale au Cameroun et des docteurs du CHU de Montpellier, ils ont appris à distinguer les types de plaies et à utiliser les pansements et médicaments adéquats. « Ici, les infirmiers ont beaucoup plus de responsabilités. Ils ont l’habitude de prescrire et, sur certaines pathologies, ils sont beaucoup plus avancés que moi”, commente Marie Coutand.

“Comme nous n’avons pas de docteurs, je tiens le rôle de médecin et celui d’aide-soignante !”,rigole Ide Tsopbou, 35 ans, la major des pansements. Elle poursuit, plus grave: “J’aime nettoyer les plaies et réconforter le malade. Mais certains amis ne veulent plus me parler à cause de mon choix.”

Prescriptions d’examens, d’échographies artérielles et de médicaments, diagnostic et petites chirurgies comme les sutures ou les greffes en pastilles… La pratique au quotidien de Ide dépasse largement ce qu’elle a appris en deux ans de baccalauréat professionnel comme aide-soignante. “Mais cela reste limité. Si nous avions un bloc opératoire, un chirurgien, un médecin spécialiste, plus de salles, des livraisons régulières de pansements...” rêve-elle.

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Consultations par WhatsApp avec la France

Dr. Soumélé, camerounais et praticien au CH de Perpignan, est le fondateur de l'hôpital des plaies de Balaveng

Dr. Soumélé, camerounais et praticien au CH de Perpignan, est le fondateur de l'hôpital des plaies de Balaveng. © Adrienne Surprenant.

Grâce aux efforts du docteur Soumélé, des membres de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC) ont effectué plusieurs missions au Cameroun et continuent d’appuyer l’hôpital à distance grâce à une consultation de télémédecine établie depuis 2015.

Réunis dans la salle informatique, les soignants sont avides de conseils sur le cas de Gervaise* qui souffre d’ulcères artériels. Après quelques minutes, la vidéo se brouille et la consultation se poursuit via WhatsApp.

“Est-ce que ses oreilles sont froides ?, textote depuis la France le docteur Chloé Géri-Trial, médecin généraliste à l'unité médico-chirurgicale de plaies et cicatrisations du CHU de Montpellier. La douleur est-elle plus forte quand elle est debout, ou couchée ?

“Non, s’empresse de vérifier Christiane Azangue, 30 ans, infirmière d’Etat spécialisée en kinésiologie. Elle a mal dans toutes les positions.”

Pour le docteur Géri-Trial, Gervaise n’a les artères que partiellement bloquées. “Il faut qu’elle fasse un peu d’activité physique, conseille-t-elle à Christiane. Cela va permettre de réduire l’artérite et aider à la guérison.”

“Il n’y a pas un risque que le caillot se détache ?” enchaîne la kinésiologie, aussitôt rassurée par son interlocutrice française : en l’absence de possibilités d’une intervention chirurgicale de revascularisation,“un sport doux ne fait jamais de mal.”

“Ces échanges nous donnent confiance parce que, sans leur soutien, nous ferions les choses à tâtons” affirme Christiane. Dès le lendemain, elle met les conseils de sa référente à exécution mais, après neuf pas sur une machine dédiée, Gervaise se fatigue. Elle souffre aussi de dénutrition.

Ici, une plaie vient rarement seule. Les ulcères comme ceux de Gervaise empirent, en cas de dénutrition ou d’anémie. “Environ 80 % des patients sont des gens qui viennent d’un milieu défavorisé, qui survivent grâce au système de débrouillardise et travaillent dans l’informel. Leurs conditions de vie font que la plaie s’infecte facilement et ils manquent de moyens pour le traitement”, indique le docteur Soumélé. Dans la plupart des cas, des pathologies comme le VIH, le diabète ou la drépanocytose -une maladie génétique des hémoglobines répandue en Afrique centrale-, ralentissent la cicatrisation.

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“La plaie dicte le traitement”

Marie Coutand envoie une photo des ulcères artériels de Gervaise au Dr Chloé Geri-Trial via WhatsApp, lors d'une consultation vidéo

Marie Coutand envoie une photo des ulcères artériels de Gervaise au Dr Chloé Geri-Trial via WhatsApp, lors d'une consultation vidéo. Une fois par mois, le personnel camerounais peut ainsi recevoir les conseils des spécialistes du CHU de Montpellier et de la SFFPC. © Adrienne Surprenant.

Informés par le bouche à oreille ou par Facebook, des patients sont venus du Gabon, de la Guinée et du Mali pour essayer les technologies médicales disponibles à Balaveng comme le traitement des plaies par pression négative (VAC®) qui permet de nettoyer la lésion de façon accélérée.

Ide vient de poser le VAC® sur la plaie de Martin Tematio, arrivé il y a deux mois, et, s’il supporte la douleur, l’appareil à pression négative sera retiré le lendemain. “Nous avons souvent besoin de vérifier les techniques sur internet pour améliorer nos pratiques, indique-t-elle. Par exemple, pour diminuer la douleur au moment du retrait du VAC, nous avons commencé à poser une interface sous la mousse.”

“C’est la plaie qui nous dicte le traitement”, précise Gabriel Simeu, surnommé “papa Gabi” par ses collègues et les patients, qui travaille à l’Hôpital des plaies depuis le début, en 2008. Ses gestes précis, alors qu’il décape la plaie ulcéreuse de Maurice Takou, trahissent son expérience. Depuis quelques jours, il recouvre la kératine d’un gel alginate puis enlève les parties ramollies le lendemain. Ce traitement, “n’existe pas ailleurs en Afrique centrale”, explique le doyen des infirmiers, satisfait des avancées de la plaie bourgeonnante, auparavant couverte de nécrose et de fibrine. Il masse la jambe avec de l’huile de palmiste, une version locale du drainage lymphatique puis applique des interfaces cicatrisantes.

A la retraite, Gabriel a repris de l’activité par intérêt pour le soin des plaies et a suivi plusieurs formations dispensées par des membres de la SFFPC. Pour certains de ses collègues, travailler à l’hôpital des plaies s’est imposé plus par nécessité : “j’ai passé trois fois le concours de la fonction publique, mais sans succès,” déplore Christiane en soulignant que trouver un emploi en milieu hospitalier sans être pistonné est presque impossible au Cameroun. “Mais ici, si le directeur de l’hôpital est satisfait, on peut travailler”, ajoute-t-elle.

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Des pansements livrés depuis la France

Ide pose un VAC® sur une plaie

Ide pose un VAC® sur une plaie. © Adrienne Surprenant.

Au cours des six derniers mois, avec 42 lits occupés et une vingtaine de patients en externe, l’Hôpital des plaies aurait du réaliser près de soixante pansements par jour. Mais parfois, les stocks de pansements manquent. “Les produits que nous utilisons ne sont pas commercialisés au Cameroun, la plupart proviennent d’Europe”, déplore le docteur Soumélé qui fait venir de France, une fois par an, un conteneur rempli de médicaments, crèmes et pansements.

En mars 2018, ils ont attendu la livraison annuelle pendant plus d’un mois. “Nous avons vraiment vu l’impact sur la cicatrisation. Nous utilisions des bandages qui ne convenaient pas nécessairement au type de plaie et celles-ci n’évoluaient plus”, se souvient Éric Lomo, infirmier généraliste et chef de centre.

“C’est comme une maison en briques de terre qu’on construit à la saison des pluies. Si elle n’est pas finie et qu’il pleut, tout se casse”, illustre Daniel Ganno, un prince quinquagénaire  qui a mis de côté ses responsabilités traditionnelles pour soigner ses ulcères. Pendant la rupture de stock, ses plaies ont empiré.

Le délai de cicatrisation peut entraîner jusqu’à un an d’hospitalisation et coûter plus d’un million de Francs CFA (1525 euros), selon le docteur Soumélé. Dans un pays où le salaire minimum est de 36 270 FCFA (55 euros) par mois, ce traitement est un lourd poids à porter pour la famille. Certains perdent confiance et décident de se soigner seuls. D’autres partent avant la fin du traitement, lorsque le pécule de leur famille est épuisé.

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Un obstacle financier

Mireille et Chantale changent le pansement de Désiré, sous l'oeil attentif de Vicky

Mireille et Chantale changent le pansement de Désiré, sous l'oeil attentif de Vicky, stagiaire à l'hôpital depuis un mois. © Adrienne Surprenant.

“Vu l’évolution,  je ne veux pas que l’infection resurgisse. Je veux que ça guérisse. Mais mon problème, c’est l’argent. Je suis déjà arrivée au bout de mes ressources”, déplore une patiente, Victorine Kana Guedong. Cette Camerounaise de 44 ans sortait d’une fête quand un homme, sorti de l’obscurité, l’a poignardée. Inconsciente, elle a été placée sur une moto-taxi et son pied droit s’est coincé dans la roue. Après douze jours de traitement à l’Hôpital Général de Douala, sa plaie traumatique s’était infectée et présentait un risque d’ostéite. “ C’est au moment où on m’a envoyé faire les tests pour me couper le pied que j’ai décidé de partir. J’étais énervée. Et ils avaient déjà aspiré tout mon argent.”

Ide admet pleurer souvent lorsque des patients plient bagage sans avoir terminé leur guérison : “tu sais que tu peux faire quelque chose pour eux mais tu as les mains liées, car ils n’ont plus d’argent.”

Refusant cette fatalité, elle a récemment participé à une collecte avec ses collègues. Ensemble, ils sont parvenus à payer le transport de retour d’un jeune drépanocytaire dont les deux jambes, ulcérées des genoux jusqu’aux pieds, ne guérissaient pas, en l’absence de chirurgie.

Le problème, c’est qu’ils arrivent toujours ici trop tard, explique Ide. Pourtant, alors qu’ailleurs on leur parle d’amputation, ici, on peut les guérir. Avec des greffes de pastilles par exemple.” Certains patients ont aussi essayé des remèdes traditionnels comme Désiré Noutinou, 62 ans, commerçant et père de 28 enfants. En trois jours, ses ulcères s’étaient aggravés. Il était fiévreux et ses jambes percluses de douleurs. Après un mois à l’Hôpital des plaies, il commence à entrevoir la guérison et les ulcères ont disparu totalement sur une de ses jambes. Mais il envisage de quitter l’hôpital pour pouvoir payer les frais de scolarité des plus jeunes de ses enfants.

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Pour favoriser les traitements en dehors de l’Hôpital des plaies, le docteur Soumélé est en train de monter une école de formation pour des infirmiers en provenance des dix régions du Cameroun. L’objectif ? Leur apprendre à surveiller les plaies et à refaire les pansements des patients guéris à 80 %, après leur passage… Tout en étant entourés de leur famille.

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Adrienne Surprenant

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