Thèse de doctorat : l'expérience des aides-soignants ne doit pas être un fardeau en IFSI

Géraldine Langlois
30 septembre 2019 @ 10 h 15 min

Une infirmière cadre formateur à Lille vient de soutenir une thèse sur les facteurs qui influent sur le succès en IFSI des aides-soignants en études promotionnelles. Selon elle, la juste reconnaissance de leur expérience professionnelle leur permettrait de mieux réussir.

Thèse de doctorat : l'expérience des aides-soignants ne doit pas être un fardeau en IFSI

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Catherine Bargibant, cadre formateur à l’IFSI Gernez-Rieux du CHU de Lille a soutenu, cet été, sa thèse de doctorat : « Regards sur l’expérience des adultes en études promotionnelles : le cas des aides-soignantes en formation infirmière ».

Elle fait partie des rares infirmières (une centaine) à avoir produit un travail de recherche universitaire à ce niveau. Cette enseignante en sciences infirmières depuis une vingtaine d’années a développé un goût pour la recherche – elle a déjà suivi une licence et un master 1 et 2 en sciences de l’éducation- et aime « décortiquer des problématiques de terrain ». Plongée dans ce monde académique, elle s’est sentie poussée à poursuivre jusqu’au doctorat par une forme d’« émulation disciplinaire ».

Son projet n’a pas été retenu au programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) de son établissement mais il a bénéficié du soutien de l’ANFH (Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier) : à partir de 2015, elle a pu travailler pendant trois ans à mi-temps sur sa thèse moyennant un perte de salaire de 15%. « Finalement j’ai mis quatre ans mais cela m’a passionnée », commente l’infirmière.

Emulation disciplinaire

Elle a choisi un sujet ancré dans sa pratique : « j‘avais observé que le fait d’être expérimenté dans les soins n’était pas forcément un avantage pour les anciens aides-soignants qui entraient à l’IFSI, raconte-t-elle, et qu’ils subissaient une énorme pression de réussir qui pouvait être contre-productive ». Au point d’échouer de manière étonnante voire même de prendre des risques… Catherine Bargibant a voulu comprendre pourquoi, malgré leur expérience, ces étudiants ne réussissaient pas mieux.

La première phase de son travail, l’objectivation de la problématique, a pris du temps. Elle a réalisé 50 entretiens semi directifs avec des étudiants ex-aides-soignants et recueilli 350 questionnaires remplis par des étudiants et des formateurs, d’abord dans  son IFSI puis dans d’autres. Elle a d’ailleurs observé que la problématique de départ n’était pas forcément présente ailleurs et s’est interrogée sur cette différence…

Ses recherches lui ont aussi montré que la façon dont les aides-soignants accèdent en IFSI, via les études promotionnelles, peut relever de deux logiques différentes. Ici les elles accèdent à l’IFSI au bout de trois ou quatre mois, si leur établissement en a les moyens. Ailleurs elles doivent prouver leur motivation au cours de plusieurs entretiens, de stages de remise à niveau et d’un processus qui peut durer un à deux ans… Une démarche destinée à ouvrir les portes de l’IFSI aux candidats les plus à même de réussir, observe Catherine Bargibant, mais qui leur impose aussi beaucoup de pression voire même qui les infériorise…

Ni sur ni sous-évaluer

« Au bout du compte, ajoute-t-elle, la question qui se pose réside dans la reconnaissance par les formateurs et les tuteurs de l’expérience » de ces étudiants qui ont déjà travaillé auprès des patients et dans des équipes de soins. Elle est positive pour certains car elle signifie que ces étudiants savent beaucoup de choses alors que pour d’autres elle est synonyme de potentielles « mauvaises habitudes »… Sur-évaluée par les uns, sous-évaluée par d’autres, cette perception de l’expérience produit chez les étudiants aides-soignants un « sentiment de menace » et une intranquillité, remarque Catherine Bargibant : dans un cas ils craignent de ne pas être à la hauteur et dans l’autre ils se sentent humiliés…

Très motivés, ils se considèrent pourtant souvent « chanceux » de se voir autorisés et aidés à se former au métier d’infirmier, synonyme d’ascenseur social. Mais face aux attentes ou pressions dont il sont l’objet, ils se montrent généralement plus stressés que les autres étudiants qui, eux, n’y sont pas soumis.

« Par sérendipité », elle a trouvé la réponse à sa question de départ en étudiant certains comportements « aberrants », c’est-à-dire dangereux pour eux ou pour les patients, rapportés par ces étudiants ex-aides-soignants. « Je me suis rendu compte qu’ils correspondaient à des stratégies identitaires, souligne la formatrice. Quand on explore le contexte dans lequel ils sont apparus, on s’aperçoit que c’est toujours lorsqu’il y a une atteinte à l’estime de soi » qui provoque « une crainte du regard d’autrui ». Cela montre selon elle que « si on malmène les gens et qu’ils sont en insécurité psychologique, des accidents liés aux soins peuvent survenir ».

Elle espère que ce travail permettra d’améliorer la réussite des étudiants aide-soignants dans leurs études en IFSI en faisant en sorte que leur situation particulière (expérience, âge, vie familiale) soit certes prise en compte sans que cela devienne pour eux un handicap. « Il y a un juste milieu qui permettrait que cela se passe bien » pour ces étudiants, estime Catherine Bargibant. Pour les ex-aide-soignants comme pour tous les étudiants en reconversion ou en études promotionnelles, ajoute-t-elle, « il faut valoriser leur expérience, comme un sac à dos plein de lingots ».

Géraldine Langlois

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« Regards sur l’expérience des adultes en études promotionnelles : le cas des aides-soignantes en formation infirmière » http://www.theses.fr/s169941

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