En Inde, un dispensaire pour soigner les plaies

Myriem Lahidely
9 septembre 2020 @ 10 h 42 min

A Varanasi (Bénarès), un dispensaire créé par une infirmière française, via son association “ Un rêve indien ”, accueille tous les matins une population de quartiers pauvres. Sa spécialité : le soin des plaies et les pansements. Article paru dans le n°34 d’ActuSoins Magazine (septembre 2019).

Sont soigne la blessure au pied de cet adolescent, secondée par Nitin, pendant que des patientes attendent une consultation avec le médecin présent au dispensaire deux jours par semaine

Sont soigne la blessure au pied de cet adolescent, secondée par Nitin, pendant que des patientes attendent une consultation avec le médecin présent au dispensaire deux jours par semaine. © Myriem Lahidely.

Kashi sewar dispensary, un vendredi matin, dans une pièce unique de 20 m2 louée à un particulier, quartier de Tilbhandeshwar, au cœur de Varanasi.

Un jeune homme, tombé en moto, présente une blessure au pied. Le suivant vient pour la première fois avec un abcès à la cuisse gauche.

Une troisième souffre d’un furoncle très douloureux dans le bas du dos… Le défilé des patients, en accordéon, s’accélère vers les onze heures dans ce dispensaire qui ne traite que des plaies.

Des hommes, des femmes, des vieux, des ados, des enfants, des mamans… qui habitent le quartier mais aussi d’autres secteurs de la ville, voire plus loin.

Trois personnes s’affairent. Deux s’appliquent à tour de rôle à réaliser des soins pendant qu’une bénévole consigne sur un grand registre les entrées et les actes effectués, les patients signant avec l’empreinte de leur pouce. 

Brûlures, plaies par abrasion, abcès, morsures…

L'entrée au dispensaire : à gauche, Sont, formée par Céline aux soins infirmiers; à droite, Nitin et, au centre, Sonali, qui donne un coup de main à l'équipe et s'occupe du cahier d'enregistrement des soins

L’entrée au dispensaire : à gauche, Sont, formée par Céline aux soins infirmiers; à droite, Nitin et, au centre, Sonali, qui donne un coup de main à l’équipe et s’occupe du cahier d’enregistrement des soins. © Myriem Lahidely.

« Nous accueillons une population essentiellement pour des pansements, et le panel est très large », note Soni, discrète et prévenante, en blouse blanche, les mains protégées par des gants, une précaution rare, ici.

Elle peut traiter des  plaies de toutes sortes et de toute gravité, de la bobologie qu’il faut soigner pour éviter les infections, aux accidents domestiques tels que des brûlures, fréquentes et parfois graves chez les enfants dont les mères cuisinent à même le sol. Ils viennent également pour des morsures d’animaux errants, les chiens et les singes étant très présents dans les rues.

Des patients leur sont aussi adressés pour des plaies importantes, surinfectées, ulcérées, voire creusées jusqu’à l’os. « L’hiver, nous soignons beaucoup de plaies par abrasions, souvent liées à des accidents de travail, des chutes de moto ou des brûlures, et, l’été, beaucoup de furoncles et de mycoses liées à la mousson », ajoute encore Nitin, un soignant qui a rejoint le dispensaire, il y a deux ans, après avoir effectué des soins à domicile pour une autre ONG (Agir pour Bénarès).

Des moyens limités

La petite équipe est à pied d’œuvre tous les matins, six jours par semaine, pour effectuer des soins gratuits. Sur une table, la Biseptine® est en bonne place près de la de la Biafine® ou du Dexeryl®. « Beaucoup de produits et matériel de soins viennent de France comme les compresses non tissées, les bandes extensibles ou encore un savon liquide à la Bétadine®, introuvables en Inde », précise Nitin.

La base : des crèmes antibiotiques, antifongiques et antiseptiques. « Si elles sont appliquées au bon moment, nous obtenons de très bons résultats sur presque toutes les plaies avec beaucoup moins de moyens qu’en France où l’on dispose de produits très bien mais très cher. Nous faisons des miracles avec un combiné de Bétadine® et de métronidazole peu onéreux qui n’existe pas en France », confie Céline Hégron. Cette infirmière exerçait au service hématologie stérile du CHU de Nantes avant de s’installer en Inde en 2009 et d’y créer son dispensaire en 2012.

Cette femme suivie pour un furoncle très douloureux au bas du dos, est soutenue par son mari pendant que Son nettoie avant de refaire le pansement

Cette femme suivie pour un furoncle très douloureux au bas du dos, est soutenue par son mari pendant que Son nettoie avant de refaire le pansement. © Myriem Lahidely.

Les guérisons qui durent parfois plusieurs semaines ou mois peuvent être spectaculaires. « Mais tout peut devenir compliqué s’il y a une pathologie sous-jacente très forte », souligne-t-elle.

Le dispensaire ne prend toutefois pas en charge les grosses blessures comme les brûlures graves qui nécessitent des perfusions. Si des points de suture sont nécessaires, « nous proposons aux patients de revenir nous voir après un passage à l’hôpital car nous ne les réalisons pas ici, indique Nitin. C’est difficile de dire que l’on ne peut pas, mais nous n’avons pas le matériel pour de tels actes ».

Prévention et hygiène

L’éducation à la santé, notamment en matière d’hygiène et de prévention, est indispensable et représente une autre partie du travail. « Nous profitons des soins pour prodiguer des conseils », explique Nitin. Par exemple, leur apprendre des gestes simples comme celui de faire couler de l’eau froide sur une brûlure pour rafraîchir la peau et limiter les cloques. « Il faut parfois expliquer la même chose tous les jours, toute l’année, car les gens n’écoutent pas », observe-t-il.

La patientèle arrive parfois au dispensaire après avoir essayé des remèdes maison. Ces remèdes de grand-mère et les « on-dit » sont légion en Inde.

Certains se massent la jambe au kérosène pour calmer une douleur. D’autres appliquent du dentifrice sur une brûlure, de la chaux pour arrêter un saignement, des cheveux de femme, une toile d’araignée ou des crottes de singe sur une grosse plaie ou encore font une puja (prière à une divinité) en cas de jaunisse ou de morsure de chien errant.

Cette patientèle peut aussi arriver très tard au dispensaire, lorsque la douleur ou la surinfection sont déjà bien installées. « En Inde, il n’y a pas de couverture sociale. Les gens pauvres n’ont pas les moyens de payer des pansements quotidiens », explique l’infirmière dont bon nombre des patients sont dirigés vers son dispensaire par un hôpital qui a eu écho de ses bons résultats en matière de cicatrisation.

D'un patient à l'autre, Son et Nitin se partagent la tâche assumant à tour de rôle le soin ou la préparation du matériel

D’un patient à l’autre, Son et Nitin se partagent la tâche assumant à tour de rôle le soin ou la préparation du matériel. © Myriem Lahidely.

C’est le manque d’hygiène qui a le plus surpris Céline, celle des soignants en particulier. « Il n’y a pas de désinfection des mains, par exemple, ce qui éviterait beaucoup de maladie, et l’asepsie est absente, note-t-elle. Il y a dans ce domaine un décalage énorme, même avec des infirmières indiennes formées à peu près comme chez nous, en trois ans et trois mois. » Les instituts de formation se sont multipliés et les étudiants sont aujourd’hui de plus en plus nombreux.

« Auparavant des infirmières pouvaient faire des soins sans savoir lire ni écrire », confie Nitin.

Un plus : des consultations deux fois par semaine

Deux fois par semaine, l’équipe partage son espace avec deux médecins généralistes qui travaillent aussi à l’hôpital, l’un venant au dispensaire le mardi, l’autre le vendredi. Leurs consultations se font à l’abri, derrière un petit rideau vert, dans un angle de la pièce où se trouvent un petit bureau et une table d’auscultation.

 Le flux et le brouhaha ne sont pas toujours simples à gérer, les patients attendant leur tour debout dans un autre coin de la pièce ou sur la marche devant la porte, ouverte sur la rue. 

« Le généraliste peut aussi donner son avis sur nos soins et nous nous réunissons de temps en temps pour en discuter, indique Nitin. Il peut assurer le suivi médical de nos patients et leur prescrire un traitement si besoin. Sa consultation coûte 20 roupies (0,25 €) avec les médicaments pour un traitement de quelques jours ». Des médicaments essentiellement locaux, les médecins indiens préférant utiliser les marques qu’ils connaissent.

« Nous les commandons au maximum en Inde dont les compagnies proposent des génériques de bonne qualité. C’est plus difficile pour le matériel de soin », précise Céline. Après sa matinée, elle passe commandes des médicaments auprès de répartiteurs de la ville. Et surtout, l’après-midi elle fait tout ce qui ne se voit pas : les factures, les réponses aux mails, la tenue d’un site web et d’une page Facebook

Le Dr Sanjay, médecin hospitalier, donne des consultations au dispensaire les vendredis matins. Il peut être sollicité pour un avis sur une plaie et son traitement

Le Dr Sanjay, médecin hospitalier, donne des consultations au dispensaire les vendredis matins. Il peut être sollicité pour un avis sur une plaie et son traitement. © Myriem Lahidely.

Son association “ Un rêve indien ” parvient à couvrir tous les frais du dispensaire (environ 10 000 € par an pour les salaires, loyers et achat des médicaments) grâce aux dons, soirées indiennes, soirées théâtre, lotos, opération bols de riz dans les écoles où elle vient partager son expérience avec des enfants et adolescents.

Et il y a aussi les ventes de ses propres photos et autres objets indiens organisées en France où l’infirmière passe deux mois par an.

Pendant son absence, elle peut se reposer sur Soni, qui n’est jamais allée à l’école et qu’elle a pourtant formée aux soins infirmiers. C’est avec elle que Céline a démarré l’activité du dispensaire. « Soni sait gérer de main de maître », confie-t-elle. Avant d’être soignante, la jeune Indienne a été gravement malade, pendant une très longue période. « Son rêve était de faire ce métier pour aider les autres, elle le pratique parfaitement aujourd’hui et ça a changé sa vie et son statut », ajoute-t-elle.

L’an dernier, leur petit dispensaire a totalisé 6550 pansements et 3900 consultations médicales.

Passés entre leurs mains, beaucoup de patients repartent avec le sourire. Le mérite est d’autant plus grand que les autorités ne lui facilitent pas toujours la tâche.

Myriem Lahidely

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actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article est paru dans le n°34 d’ActuSoins Magazine (septembre-octobre-novembre 2019)

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