Transport paramédicalisé : l’intervention clef des infirmiers et ambulanciers

En déploiement depuis une quinzaine d’années sur le territoire, le transport sanitaire paramédical intervient dans le champ de l’interhospitalier. A bord des véhicules, un infirmier et un ambulancier, assurent le transfert des patients entre les structures. Cet article est paru dans le n°36 d’ActuSoins magazine (mars 2020). Le reportage et les photographies ont été réalisés avant la crise sanitaire, ndlr. 

Le transport sanitaire paramédical concerne les adultes mais aussi les nourrissons. Les infirmiers sont d’ailleurs formés à l’usage des incubateurs pour garantir la sécurité des bébés. © Ayoub Benkarroum

10h à Montigny-lès-Cormeilles (Val d’Oise).

Ingrid, infirmière, et Ludovic, ambulancier, démarrent le véhicule. Ils partent pour l’hôpital Beaujon (Clichy) chercher un patient hospitalisé, pour l’amener à l’hôpital Bichat (Paris 19e) faire sa dialyse. Le patient, affaibli, requiert une surveillance paramédicale et doit voyager allongé. Un véhicule sanitaire léger (VSL) ne serait pas suffisant mais le Smur n’est pas nécessaire.

L’hôpital a donc sollicité une ambulance paramédicale, et aujourd’hui, c’est Ingrid et Ludovic, qui interviennent. La régulation de l’entreprise d’ambulances DTSU, qui a contractualisé avec différents hôpitaux, reçoit les appels des structures hospitalières et informe les ambulances sur le terrain du patient à aller chercher et où l’amener.

« Je fais partie de l’entreprise depuis bientôt deux ans », raconte Ingrid, à l’arrière de l’ambulance. Auparavant, elle a exercé dans de nombreux services techniques, en néonatologie, au Smur… « J’aime vraiment travailler dans les véhicules, confie-t-elle. Il n’y a pas de routine, nous prenons en charge des patients aux pathologies très variées. »

Transmissions au départ et à l’arrivée

Les transmissions, « c’est indispensable pour connaître l’état de santé du patient, ses constantes et pour m’assurer qu’il est suffisamment stable pour un transport paramédical », explique Ingrid.© Ayoub Benkarroum

En arrivant à l’hôpital Beaujon, les deux coéquipiers se rendent, avec un brancard, au sein du service du patient.

Ingrid se rapproche alors de l’infirmière pour faire la transmission. « C’est indispensable pour connaître l’état de santé du patient, ses constantes et pour m’assurer qu’il est suffisamment stable pour un transport paramédical, explique Ingrid. Si j’estime que ce n’est pas le cas, je peux refuser de le prendre ne charge, à condition de le justifier. » Les transmissions sont également nécessaires si un problème survient avec le patient pendant le transfert.

Une fois les informations recueillies, le binôme installe le patient dans l’ambulance. En arrivant à Bichat, Ingrid assure de nouveau la transmission avec l’infirmière sur place. Après s’être assurée que l’équipe hospitalière a pris le relais, elle se dirige avec Ludovic vers l’ambulance pour découvrir la prochaine prise en charge. « En moyenne, nous en faisons six par jours », précise-t-elle.

Cette fois, elle retourne à l’hôpital Beaujon pour une patiente, hospitalisée pour un infarctus mésentérique, qui doit se rendre à l’hôpital franco-britannique se faire poser un Picc line.

Désengorger les services hospitaliers

Ingrid prend en charge le patient dans sa chambre et fait les vérifications nécessaires pendant le passage de relais. © Ayoub Benkarroum

Le transport paramédical intervient à la demande des services hospitaliers. « Outre des protocoles bien établis pour les nouveau-nés et la femme enceinte, c’est au médecin du service d’apprécier et de décider de la nécessité d’avoir recours à une ambulance (vecteur 1), au transports infirmiers inter et intra hospitaliers (TIIH, vecteur 2) ou au Smur (vecteur 3) », rapporte Bruno Basset, infirmier et fondateur d’Urgever, entreprise de transports sanitaires spécialisés, basée en Rhône-Alpes. Celle-ci dispose d’environ 115 ambulanciers, de quatre infirmiers en interne et d’une quarantaine d’infirmiers vacataires.

La régulation du centre 15 peut parfois faire appel à du transport paramédical si le médecin régulateur estime que cette prise en charge est suffisante. « Si le Smur respecte des missions régaliennes dans le cadre du pré-hospitalier, le TIIH intervient sur des compétences moins régaliennes et entre hôpitaux, pour désemboliser les services », ajoute-t-il.

Ce fonctionnement permet de gérer les flux de transports qui ont particulièrement augmenté depuis la réorganisation des établissements de santé et la création de pôles d’excellence. L’intervention du TIIH s’avère donc indispensable pour les structures hospitalières qui n’ont pas les moyens de démobiliser les infirmiers des services pour assurer les transports.

« On fait principalement appel à nous pour des transports programmés », explique Bruno Pourre, responsable de la société d’ambulances DTSU, qui emploie neuf infirmiers et fait appel à trois vacataires.

C’est le cas par exemple lors d’un rapprochement familial d’un nourrisson pris en charge dans une maternité de niveau 3 vers une maternité de niveau 2. « En fonction de l’âge, du poids et de la pathologie de l’enfant, la présence d’une infirmière est indispensable », souligne-t-il.

C’est le cas aussi pour des adultes lorsqu’ils sont par exemple sous monitoring ou lorsque leur traitement ne peut pas être interrompu. La prise en charge par l’infirmière permet cette poursuite du traitement dans l’ambulance.  

A bord, l’infirmière décisionnaire

En moyenne, le binôme effectue six prises en charge par jour. © Ayoub Benkarroum

Dans le cadre du TIIH, l’infirmier travaille avec un ambulancier diplômé d’Etat mais la prise de décisions concernant l’intervention relève de l’infirmier. « Avec Ludovic, je travaille en totale confiance, confie Ingrid. Nous formons un vrai binôme. »

La sphère de compétences de l’infirmier respecte bien entendu son décret d’actes mais il doit assurer des missions spécifiques à ce type de prise en charge : être en capacité d’établir un bilan précis de la situation clinique pour valider la faisabilité du transfert, mettre en œuvre une surveillance adaptée à la situation et à la personne.

Il doit aussi reconnaître rapidement l’altération des signes cliniques, apprécier l’évolutivité de la situation pour adapter et anticiper la surveillance ou encore mettre en œuvre les soins conservatoires en attendant l’arrivée d’un médecin si besoin. Sa relation au patient est également primordiale, le temps du transfert devant être mis à profit pour expliquer, informer et soigner.

De fait, travailler dans ce type d’ambulance requiert des pré-requis, imposés notamment par Samu – Urgences de France. L’infirmier doit avoir exercé au moins trois ans après l’obtention de son diplôme, si possible dans des services techniques comme les urgences, la réanimation, la salle de réveil ou encore la néonatalogie. « Il est indispensable qu’il ait au moins une expérience en pédiatrie », indique Ingrid.

« Nos infirmiers et nos ambulanciers suivent également une formation sur le traumatisme de l’enfant ainsi qu’une formation paramédicale pédiatrie pour connaître l’usage des incubateurs dans les ambulances, leur démontage et leur désinfection », ajoute Bruno Pourre.

La prise en charge d’un nourrisson en néonatalogie est d’ailleurs la troisième intervention de la journée pour Ingrid et Ludovic. Rendez-vous à l’hôpital Cochin-Port-Royal (Paris 14e) afin de prendre en charge un nourrisson né prématurément. « Aujourd’hui, il va beaucoup mieux et ne requiert plus de soins intensifs, explique l’infirmière. Nous allons l’amener à l’hôpital Saint-Joseph. »

Et de poursuivre : « Pour les petits patients, nous demandons à l’infirmière du service de déposer le bébé dans l’incubateur. C’est important pour moi. De cette manière, elle nous transmet le petit, nous ne le prenons pas. »

Avec ce type d’exercice, Ingrid assure avoir trouvé le dernier poste qu’elle occupera de sa carrière. « Il réunit tout ce que je cherche. J’ai le temps de m’intéresser au patient pendant le transport, la prise en charge est très riche en termes de pathologies et, certes, il y a un peu d’administratif à gérer mais pas autant que dans les services hospitaliers. Je suis vraiment dans le prendre soin des patients », conclut-elle.

Laure Martin

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Cet article est paru dans le n°36 d’ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2020)

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Un cadre réglementaire

« Auparavant, il n’y avait pas d’intermédiaire entre la prestation Smur avec la présence d’un médecin anesthésiste et d’un infirmier, et les ambulances privées », explique Bruno Basset.

A la suite du plan de périnatalité de 1999, un travail a été mené avec des pédiatres et des néonatologues afin d’instaurer un échelon intermédiaire, avec la seule présence d’infirmiers et d’ambulanciers pour prendre en charge des nouveau-nés, des enfants et des adultes, dans le cadre de transports infirmiers inter et intra hospitaliers (TIIH).

Entre les recommandations de Samu – Urgences de France, le décret du 22 mai 2006 relatif à la médecine d’urgence et le décret de compétences des infirmiers, le TIIH répond à un cadre réglementaire et juridique, avec deux circulaires de 2005 et 2006 de la Direction hospitalière de l’offre de soins (DHOS). Elles ont précisé la prise en charge du nouveau-né et de la femme enceinte.

Mais la pratique et des publications scientifiques ont permis d’étendre le TIIH à d’autres activités : urgences cardiologique, neurologique, insuffisance respiratoire, etc.

 

La téléconsultation en réflexion

L’intervention du TIIH est amenée à évoluer. « Le Samu réfléchit à l’intervention d’équipe paramédicale sur différentes situations qui pourraient être protocolisées, comme c’est déjà le cas chez les pompiers, indique Bruno Pourre. Notre intervention pourrait être intéressante par exemple pour la prise en charge des douleurs thoraciques car aujourd’hui c’est le Smur qui se déplace alors que, dans certains cas, une présence infirmière pourrait suffire, avec l’usage de matériel connecté permettant de transmettre au Samu un ECG en direct. »

« Il s’agit d’une pratique qui se développe déjà dans le cadre de l’urgence pré-hospitalière afin d’apporter une aide à la décision du médecin régulateur, fait savoir Bruno Basset. Nous disposons d’outils pour envoyer les données notamment pour l’électrocardiogramme. Le Samu apprécie d’avoir des équipes avec des infirmiers dans des ambulances privées. Mais l’infirmier reste subordonné au médecin du Samu. » La téléconsultation en Ehpad serait également en réflexion.