A la fin du pic épidémique de Covid19 (première vague), des soignants de l’Hôpital européen de Marseille et d’autres salariés en première ligne ont apporté leurs témoignages. Ils sont infirmier, médecin, lingère, aide-soignant, psychologue... ActuSoins leur donne la parole. Une série de portraits réalisée par le photographe Anthony Micallef. Cet article est initialement paru dans le n°37 d'ActuSoins Magazine (juin, juillet, août 2020).
Texte et photos Antony Micallef
Cet article est paru dans le n°37 d’ActuSoins Magazine (juin-juillet-août 2021)
Il est à présent en accès libre.
ActuSoins vit grâce à ses abonnés et garantit une information indépendante et objective.
Pour contribuer à soutenir ActuSoins, tout en recevant un magazine complet (plus de 70 pages d’informations professionnelles, de reportages et d’enquêtes exclusives) tous les trimestres, nous vous invitons donc à vous abonner.
Pour s’ abonner au magazine (14,90 €/ an pour les professionnels, 9,90 € pour les étudiants), c’est ICI
Abonnez-vous au magazine Actusoins
Benjamin, infirmier « J’ai été diplômé le 14 mars, donc j’ai commencé à travailler juste avant la crise. Je sortais de trois ans et demi d’études d’infirmier. Normalement quand tu arrives à l’hôpital, fraîchement diplômé, tu dois suivre treize modules de formation supplémentaires. Quand l’épidémie a commencé je n’avais eu le temps d’en faire que trois ! On m’a proposé d’intégrer l’équipe covid-19, j’étais d’accord. Durant les deux premiers jours, j’étais en doublon avec une infirmière, ensuite j’ai été lâché dans le grand bain. Le plus dur à gérer, c’est la grosse différence entre la théorie scolaire et la pratique. Quand il y a un souci et que tu cherches l’infirmier pour poser ta question… tu réalises soudain que l’infirmier désormais c’est toi ! Il a fallu aussi se rappeler comment s’équiper entièrement avant d’entrer en chambre, puis se déséquiper avant d’en sortir, d’autant que le protocole changeait sans arrêt.
Chloé, aide-soignante « Le contact avec les patients, c’est ma vie. Pour des raisons d’équipements et de risques, on limitait les soins à un soignant, donc le plus souvent l’infirmière entrait dans la chambre et je restais dans le couloir en cas de besoin. C’était très frustrant. Le côté physique, tactile de ce métier m’a beaucoup manqué : une AS c’est la personne la plus proche des malades normalement. Malgré cela, je crois que cette épidémie m’a rendue encore plus humaine. Par exemple pour la première fois depuis dix ans d’hôpital, j’ai appelé les patients par leur prénom. C’était un moyen de se rapprocher d’eux. Touchée par leur solitude, j’ai aussi utilisé mon téléphone pour leur permettre de parler rapidement à leurs proches, de les voir en visioconférence quelques instants… Sans les visites, les gens ne mangent plus et dépriment. Il faut bien les aider. »
Retinna, médecin réanimateur « C’est la brutalité de la maladie qui m’a frappé. Contrairement aux autres syndromes de détresse respiratoire où l’on arrive à gérer la situation, avec le covid-19, à partir du moment où vous intubez le patient, il peut partir en vrille d’un coup. Sa tension peut tomber de 13 à 4 en un instant. Et face à vous l’équipe attend vos instructions… A ce moment-là, on ressent une grande impuissance. Je pense que de nombreux médecins ont vécu cela. Heureusement dans notre service, nous avons réussi à sauver beaucoup de patients et cela provoque une vraie satisfaction. Pour autant, si une deuxième vague survient on ne sait pas réellement quels sont les meilleurs choix. On tâtonne, on découvre. Pour l’instant, il n’y a toujours pas de consensus sur la prise en charge de cette maladie.”
Capucine, infirmière « J’étais au service chirurgie, quand il s’est arrêté. Plusieurs de mes collègues on dû poser leurs congés et, moi, on m’a muté en réanimation. Normalement avant d’être infirmier en réa, on est formé pendant huit semaines… J’ai été formée sur le tas. La réa, c’est un service angoissant pour un soignant car chaque geste peut avoir des conséquences lourdes. La veille du jour où je remplaçais l’infirmière, je n’ai pas dormi de la nuit ! Faut dire qu’on n’avait pas le temps pour faire les choses dans les règles de l’art. Depuis j’ai essayé de rattraper ma formation en posant des questions et en lisant des documents chez moi. Cette épidémie a tout changé pour moi : mon planning d’abord car ici nous faisons des journées de 12 h en amplitude, mais aussi mon équipe, et aussi mon assurance : j’ai du tout réapprendre pour ne pas risquer d’être un poids plutôt qu’un soutien. Mais au final, cette épidémie m’a clairement donné envie de continuer d’évoluer et de changer encore de spécialisation dans le futur. »
Chloé, aide-soignante « J’ai intégré l’équipe des soignants du covid-19 et j’y ai travaillé durant trois semaines, avant d’attraper moi-même le virus. Dans le service, nous avons été six à être malades. J’ai développé une version dure : au repos, sans rien faire, j’étais très essoufflée, exactement comme si j’avais couru un 10 km. Je suis restée une semaine hospitalisée, puis je suis partie en confinement chez moi. (…) Être hospitalisée dans son propre hôpital, c’est compliqué : la première nuit j’ai réagi au médicament avec de fortes crampes d’estomac, mais je n’osais pas appeler mes collègues. C’est compliqué de passer de l’autre côté. Cela m’a fait comprendre des choses, par exemple un patient qui te dit « Je ne peux même plus rester assis sur le fauteuil car c’est trop fatiguant », maintenant je le crois. Il y a quinze jours, j’ai enfin repris le boulot. Au départ j’étais fatiguée et essoufflée pour un rien. (…) Mais financièrement, on n’a pas le choix. On ne peut pas s’arrêter de travailler trop longtemps et mon dossier pour faire qualifier mon état en maladie professionnelle est encore en cours. (…) Rester à la maison, moralement, je n’aurais pas supporté. »
Karima, lingère « Je suis l’unique lingère de l’hôpital. Je suis chargée de réceptionner le linge sale d’un côté et de fournir le propre de l’autre ; donc en termes de contamination c’est un poste sensible. Avec l’arrivée de l’épidémie, j’ai senti une grosse responsabilité sur mes épaules. Je n’en dormais plus la nuit (…) Je me demandais si je n’avais pas fait d’erreur dans la journée, si je pouvais trouver une organisation plus performante… Le principal défi a été de ne pas tomber en rupture de blouses pour les soignants. J’ai donc trouvé un couturier qui nous a fabriqué des centaines de blouses lavables en machine. Et les blouses jetables stériles, nous ne pouvions plus en recevoir, donc nous avons trouvé la solution de les passer en machine avec un programme spécifique, puis de les stériliser avec un autoclave. Ainsi nous avons pu les réutiliser plusieurs fois. Mon mari travaille aussi dans l’hôpital, et nous avons un enfant de trois ans à la crèche réquisitionnée pour les soignants, donc au total notre famille avait trois fois plus de chance de l’attraper ce virus. C’était un vrai stress. (…)
Agnès, psychologue “J’étais la psy du secteur covid-19 et cette période a complètement changé mon rapport à mon métier. Je suis spécialisée en soins palliatifs. En temps normal, nous avons le temps d’installer une relation avec le patient, de le calmer et de l’accompagner… mais avec le coronavirus c’était parfois impossible : lorsqu’un malade s’étouffe littéralement et ne peut plus parler, l’échange devient impossible. D’autant que pour un psy sous un masque, avec blouse, lunettes et charlotte, la relation à l’autre est compliquée. Côté soignants, à l’inverse, je me suis sentie très bienvenue, plus utile que jamais. D’habitude les soignants traînent un peu les pieds. Là c’était visiblement une libération pour eux de sentir qu’on les écoute, qu’on prend soin d’eux. J’ai eu énormément de demandes. J’ai fait des consultations individuelles mais j’ai aussi monté une séance d’hypnose collective tous les mardis soir et des vidéos à regarder chez soi aussi, y compris pour les enfants des soignants. »
Igor, kinésithérapeute « Après plusieurs semaines en réa, immobiles, les malades perdent leur masse musculaire. C’est impressionnant comme la fonte est rapide. Je suis là pour remettre les patients debout. Donc je travaille sur l’aspect musculaire mais aussi respiratoire : quand on a été sous respirateur artificiel, on doit réapprendre à respirer par soi-même, et cela peut prendre du temps selon les patients. La peur, il a fallu faire avec. (…) Dans une chambre comme ici, l’air est saturé par les respirations. Quand tu fais un exercice respiratoire et que la personne crache, tu réalises que tu es vraiment au cœur du truc… Un jour nous avons eu un patient de 30 ans, dans un état grave et que nous avons dû intuber. Ayant le même âge, je me suis forcément posé des questions, cela m’a inquiété. Cette peur, j’ai dû la dépasser. »
Rate this item:1.00 2.00 3.00 4.00 5.00 Submit Rating
No votes yet.
Please wait...
Simply Vitale : une solution simplifiée pour vos vaccinations.
Le saviez-vous ? Dans Simply Vitale, vous pouvez facilement envoyer la note de vaccination vers le DMP pour garantir la traçabilité des vaccins injectés à vos patients.
Découvrir Simply Vitale
Restez connecté ! Installez l'application gratuite ActuSoins
Plongez dans le quotidien des soignants à travers l'histoire de leurs patients
A travers le programme Chroniques de Plaies, plongez dans le quotidien de professionnels de santé comme vous à l’aide de leurs témoignages autour d’un de leurs patients et nourrissez vous de leurs bonnes pratiques en cicatrisation.
Tous les témoignages de soignants ICI !
Plongez dans le quotidien de soignants tels que vous et renforcez votre expertise en cicatrisation avec Chroniques de Plaies !
Parce que derrière chaque plaie, il y a un patient, et derrière chaque patient il y a une histoire : plongez dans le quotidien des soignants avec Chroniques de Plaies !
Tous les témoignages de soignants ICI !
Soyez le premier à laisser un commentaire !