Prise en charge des plaies : l’antiseptique toujours obligatoire ?

Si l’utilisation des antiseptiques ne fait plus de doute lors des gestes invasifs sur peau saine, elle reste controversée dans la prise en charge des plaies [4]. Alors que l’utilisation des antiseptiques est aujourd’hui banalisée, les soignants doivent s’interroger sur leur utilisation.

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Qu’est-ce qu’un antiseptique ?

Un antiseptique est un produit destiné à éliminer ou tuer les micro-organismes présents sur les tissus vivants, peau saine, muqueuses et plaies. Il s’agit donc d’une substance dotée de propriétés antibactériennes, bactériostatiques et/ou bactéricides, à spectre large, agissant globalement et rapidement sur les bactéries, mais également sur les virus, champignons et spores. Ils sont soumis à une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) pour l’utilisation sur peau lésée ou sur peau saine avant effraction de la barrière cutanée. Réaliser une antisepsie a une action temporaire et semble donc plus préventif que curatif. [7]

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La flore bactérienne

La peau et les muqueuses sont colonisées en permanence par de nombreuses bactéries, qui ne sont pas pathogènes et jouent un rôle contre les agressions extérieures.

Lors d’une effraction cutanée, les tissus sous-jacents sont le siège de colonisation bactérienne. En revanche, les bactéries peuvent devenir pathogènes lors d’un déséquilibre entre les micro-organismes et les défenses de l’hôte, lors de comorbidités et/ou de présence de corps étrangers.

Une flore transitoire plus virulente peut apparaître comportant des bactéries pathogènes. Cette colonisation peut être réversible sans signe clinique ou envahir les tissus cutanés et sous-cutanés, première phase d’un processus infectieux.

L’utilisation des antiseptiques sur une peau saine avant un geste invasif permet de limiter le risque infectieux et ne fait donc plus de doute. [8] L’utilisation des antiseptiques sur les plaies est en revanche, sujet à controverse.

Pour certains auteurs, les antiseptiques sont à proscrire pour les plaies aiguës et chroniques car ils n’accélèrent pas le processus de cicatrisation et peuvent avoir une cytotoxicité nuisant à la réparation normale des tissus. Pour d’autres, au contraire, ils accélèrent la cicatrisation et permettent d’éviter les infections systémiques.

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Processus de cicatrisation et bactériocycle

Une plaie est une interruption du revêtement cutané qui peut être superficielle ou profonde avec exposition des tissus sous cutanés et toute effraction cutanée est le siège d’une colonisation bactérienne.

La réparation tissulaire se fait par un processus physiologique, en approximativement un mois, faisant intervenir un bactériocycle.

Lors d’une brèche cutanée non suturée, le processus de cicatrisation commence par l’activation des plaquettes puis se succèdent quatre phases. La phase inflammatoire et de détersion, caractérisée par la vasodilatation et l’augmentation de la perméabilité capillaire responsable d’exsudat et d’oedème : cela permet, d’une part, l’apport de fibrinogène constituant le caillot hémostatique et, d’autre part, l’apport de leucocytes dont les polynucléaires neutrophiles et les macrophages.

Durant la deuxième phase, de bourgeonnement, les macrophages et lymphocytes libèrent des facteurs de croissance qui permettent la prolifération des fibroblastes (cellules du derme) et des cellules endothéliales aboutissant à la reconstitution de nouveaux vaisseaux.

Durant ces deux phases, de nombreux germes polymorphes permettent la détersion par phagocytose. La flore Gram- favorise la phase de détersion : elle stimule les polynucléaires et les macrophages, détruit les tissus nécrosés et les désolidarise des tissus sains en phase de granulation.

Puis, la phase d’épidermisation correspond à la fermeture de la plaie qui se contracte grâce au collagène synthétisé par les fibroblastes et les kératinocytes. Durant cette phase, les cellules de l’épiderme prolifèrent. Enfin, la phase de remodelage correspond à la maturation de la cicatrice conduisant à la formation d’un néo-tissu cutané.

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Différents types de plaies

Lors d’une plaie aiguë, quelle soit traumatique ou secondaire à un acte chirurgical, le processus physiologique est normal.

Lorsqu’il est défaillant, on parle de plaie chronique. Les stades de cicatrisation ne suivent pas l’ordre ni même leur durée. La plaie chronique survient sur un terrain pathologique ou fragile (diabète, insuffisance veineuse ou artérielle) ou encore en cas de défaut de vascularisation, d’innervation sensitive, d’apport d’oxygène…

Les comorbidités ou les lésions locales peuvent rendre la chirurgie impossible ou inefficace. Il convient alors de remplacer le processus physiologique normal par des pansements adaptés à la plaie.

Notons que les plaies chroniques sont, comme les plaies aiguës, contaminées par des bactéries. En soi, cela ne perturbe pas le processus de cicatrisation. Seule la colonisation critique et l’infection peuvent empêcher la guérison. Par ailleurs, comme pour les plaies aiguës, la présence de débris organiques et de tissus nécrotiques peuvent retarder ou empêcher la cicatrisation.

L’objectif de la détersion d’une plaie est de ne pas entraver le cycle physiologique de la cicatrisation mais également de prévenir la survenue des infections. Il faut donc trouver un équilibre entre les agents microbiens pouvant aider à la cicatrisation et à la lutte contre les bactéries qui se protègent par la formation d’un biofilm et favorisent l’infection. Ce biofilm est rarement visible à l’oeil nu, à l’exception de l’exsudat vert souvent associé aux infections à pyocyanique, même si il n’est pas systématique.

En revanche, un retard ou un arrêt de cicatrisation, malgré un traitement approprié de la plaie, et/ou des suppurations persistantes revenant rapidement après détersion révèlent la présence d’un biofilm.

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L’utilisation d’un antiseptique est-elle toujours nécessaire ?

Les antiseptiques ont un effet antimicrobien à large spectre, ce qui raréfie la résistance aux antiseptiques mais ne l’exclut pas totalement. Par ailleurs, des études ont montré que les antiseptiques sont responsables de cytotoxicité sur les cellules dont les kératinocytes et les fibroblastes. Ils endommagent les défenses tissulaires, provoquent des douleurs, irritent les tissus et ont un effet transitoire sur les cultures de bactéries. Enfin, ils peuvent aussi agir, en fonction des doses, sur la prolifération ou non d’enzymes qui, pour certaines, accélèrent la cicatrisation et, pour d’autres, favorisent la chronicité d’un plaie. La toxicité locale semble donc supérieure aux avantages bactériostatiques et bactéricides.

Les antiseptiques ont cependant une indication lors de colonisation critique et d’infection. Si une antisepsie est nécessaire, afin d’optimiser le processus de cicatrisation et de minimiser le risque de dommages, il convient de choisir la solution la plus appropriée, de l’appliquer au bon moment, aux concentrations appropriées, de respecter le temps d’action nécessaire et la durée d’utilisation limitée aux temps de présence de signes d’infection. [4]

Il est donc important de savoir distinguer leurs signes de ceux d’une simple colonisation. En phase de détersion initiale normale, on observe la présence d’oedème et de rougeur sur les berges de la plaie, d’exsudat et de pus, puisque les germes y participent. En cas de colonisation critique, apparaissent des signes discrets tels qu’une douleur, une sensibilité élevée, un exsudat et un œdème augmenté.

Une infection sera donc marquée par des signes locaux comme la rougeur des bords de la plaie, une odeur nauséabonde, un exsudat très important, une douleur locale, un arrêt de la cicatrisation et une coloration de la plaie et/ ou des signes généraux.

L’eau alternative aux antiseptiques ?

L’eau sous forme de sérum physiologique, d’eau stérile ou d’eau du robinet a été proposée comme alternative aux antiseptiques, sans consensus sur la forme à utiliser. Toutefois, aucune n’entrave le processus normal de cicatrisation.

La solution physiologique stérile, à 0,9 %, est en règle employée pour ses qualités isotoniques dont le pouvoir détersif est légèrement supérieur à celui de l’eau stérile ou de l’eau du robinet.

Des études ont montré qu’il n’y a pas plus d’infection lors de plaies aiguës, chirurgicales ou chroniques nettoyées à l’eau du robinet qu’à l’eau stérile. La douche est alors à privilégier car elle favorise la détersion et la sensation de bien-être. En outre, elle a un intérêt économique et écologique.

A noter, que même si l’eau est en règle très contrôlée sur le plan bactériologique et que les robinets, en milieu hospitalier, sont munis d’un filtre bactérien, il est important d’être vigilant à la présence des bactéries dans les lavabos, de laisser couler l’eau du robinet quelques secondes avant de l’utiliser. L’eau stérile peut être privilégiée chez les patients ayant une baisse de l’immunité, lors de plaies diabétiques, d’ulcères de jambe ou de plaies exposant os et tendons, en associant si besoin une action mécanique par curetage par exemple pour assurer une bonne détersion.

Antiseptique : Conclusion

Pour prévenir une colonisation critique ou une infection, l’action mécanique du nettoyage élimine débris, germes et exsudats, bien plus qu’un antiseptique. Par ailleurs, des études ont pu démontrer que l’exsudat de la plaie a des propriétés bactéricides et peut contenir des facteurs de croissance qui favorisent la cicatrisation des plaies et ne doit être éliminé qu’en présence de quantités abondantes ou de signes cliniques d’infection.

Il n’y actuellement aucun consensus d’expert quant aux indications d’antiseptiques dans le cadre de plaies chroniques mais les risques semblent être plutôt supérieurs aux bénéfices. Les règles d’hygiène à l’eau suffisent pour éviter la contamination des plaies, chroniques et aiguës.

Il convient également de préciser que le traitement d’une plaie chronique ne dépend pas uniquement du nettoyage mais du choix du pansement et du traitement des facteurs de chronicité.

Marianne SOULES
Infirmière, Cadre de santé formatrice
DU Plaies et Cicatrisation

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Cet article est paru dans le n°37 d’ActuSoins Magazine (juin – juillet – août 2020). 

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Bibliographie

• [1] N. Barouti Mulaj, M. Mühlstädt, R. Ramosaj, Antiseptique des plaies : quand et pourquoi ? Revue Médicale Suisse, 2015
• [2] B. Barrois Metabolism Vol 27, N° 1 – mars 2001 p. 78, Diabetes & Metabolism • Vol 27, N° 1 – mars 2001 p. 78
• [3] Brown A, When is wound cleansing necessary and what solution should be used?; 20 August 2018. Nursing Times.
• [4] Bishara S Atiyeh, Saad A Dibo, Shady N Hayek, Wound cleansing, topical antiseptics and wound healing. Int Wound J 2009; 6:420–430
• [5] Lucie CHARBONNEAU, Béatrice PERRENOUD, et.al, Pansement de plaies chroniques en milieu hospitalier une revue critique de la littérature recherche en soins infirmiers n° 96 – mars 2009
• [6] Dr S. MEAUME, Les plaies infectée, journée des Hôpitaux Universitaires Paris Est, 2016
• [7] Antisepsie et désinfection, http://www.qualite-securite-soins.fr/se-documenter/sur-l-infectiologie-et-l-hygiene- hospitaliere/antisepsie-et-desinfection/
• [8] SF2H, Risque infectieux et soins, Antisepsie de la peau saine avant un geste invasif chez l’adulte Recommandations pour la pratique clinique, Mai 2016

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