Les assesseurs, ces infirmiers chargés d'instruire et de juger les plaintes déposées contre leurs pairs

Géraldine Langlois
16 juillet 2024 @ 12 h 30 min

Le fonctionnement des juridictions ordinales, une des missions de l’Ordre national des infirmiers, repose en grande partie sur les assesseurs, des infirmiers chargés d’instruire et de juger les plaintes déposées contre leurs pairs pour des manquements à la déontologie. Une mission mal connue.

© lexrvulescu97 / ShutterStock

Les assesseurs interviennent soit en juridiction de première instance, au niveau départemental, interdépartemental ou régional (chambres disciplinaires de première instance, CDPI) soit en deuxième instance, au niveau national (chambre disciplinaire nationale, CDN).

Ces assesseurs sont des élus à l’un des conseils départementaux de l’Ordre ou au conseil national. « La majorité est issue du milieu hospitalier, souligne Christophe Eoche-Duval, conseiller d’État et l’un des deux présidents de la CDN. Mais comme 90% des affaires que nous examinons concernent des libéraux, nous essayons de faire en sorte qu’au moins un des assesseurs soit infirmier libéral. » Quatre à cinq assesseurs siègent lors de chaque audience*.

Justice entre pairs

Romain Hutereau, infirmier libéral et vice-président du conseil régional de l’Ordre des Pays-de-la-Loire, a siégé quelques mois en première instance avant d’être élu au niveau national et de devenir assesseur à la CDN pendant trois ans, jusqu’en juin dernier. « J’ai un intérêt personnel pour la justice, la législation et au départ, être assesseur était pour moi une occasion de voir une autre facette de ce qui concerne la « loi » ordinale », témoigne-t-il.

Emmanuelle Lefebvre-Meyer, infirmière puéricultrice retraitée et conseillère régionale et nationale de l’Ordre des infirmiers, a siégé pendant six ans au niveau régional, dans les premières années après la création de l’Ordre, et siège au niveau national depuis trois ans. Investie dans la création de l’Oni, elle est devenue assesseur car cela lui semblait « naturel » et du fait de son bagage juridique acquis durant sa carrière dans la fonction publique territoriale.

Antony Ricci est infirmier libéral, vice-président du conseil national de l’Ordre des infirmiers et assesseur en deuxième instance. « Pur produit du service public », comme il se décrit, il considère son mandat ordinal et son engagement comme assesseur comme une forme de devoir envers sa profession et son Ordre, « qui reste relativement jeune ». Lui aussi s’intéresse aux questions juridiques : il a suivi un diplôme universitaire en contentieux du travail, un master 1 en droit des affaires et un master 2 en droit de la santé. Ce n’est pas indispensable : des formations sont dispensées aux assesseurs quand ils intègrent une chambre disciplinaire.

Connaissance du métier

La juridiction ordinale de première instance est saisie lorsque la première étape de prise en compte d’une plainte, la concertation, a échoué. Et celle de seconde instance n’intervient que si une des parties d’une affaire fait appel du premier jugement (dans 40% des cas). En amont de chaque audience, les affaires qui seront examinées font chacune l’objet d’un rapport. « C’est ce qui est le plus chronophage, souligne Antony Ricci. On lit tout le dossier composé depuis le dépôt de la plainte. En deuxième instance, c’est un gros dossier car à ce moment, des avocats interviennent. Il y a un mémoire, un contre-mémoire. Et nous rédigeons le rapport qui sera présenté à l’audience. Cela peut prendre quatre à huit heures. »

Le jour de l’audience, le rapporteur lit ce rapport avant que les parties s’expriment et que les assesseurs et le président posent des questions. Comme les assesseurs sont des infirmiers « on peut poser des questions plus spécifiques ou souligner des choses que le président ne peut pas relever car il n’est pas du métier, poursuit le vice-président de l’Oni. Nous sommes là pour ramener la balle au centre, pour mieux comprendre comment telle personne a agi comme elle l’a fait ou pointer ce qui nous semble des anomalies. »

Jurisprudence

Les assesseurs perçoivent des indemnités de 155€ par audience d’une demi-journée et par rapport. Les motivations des assesseurs sont ailleurs. Outre un sentiment d’utilité, car la juridiction ordinale rend la justice sur le plan déontologique, Emmanuelle Lefebvre-Meyer apprécie le prisme qu’elle offre sur la profession et son évolution : « entre le moment où j’ai obtenu mon diplôme en 1985 et les jeunes infirmières, c’est une autre façon de travailler » qui transparaît dans les affaires traitées dans les chambres disciplinaires.

Romain Hutereau aime aussi comparer l’approche qu’ont pu avoir ses confrères ou consoeurs qui ont examiné une affaire en première instance et la façon dont la chambre nationale l’aborde. Selon lui, plusieurs point les différencient. La chambre de première instance intervient à chaud alors que la chambre nationale examine le dossier plusieurs années après, quand « la tension est retombée », remarque Romain Hutereau.

Le président, conseiller d’État, a un regard différent des présidents des chambres de première instance, issus des tribunaux administratifs. Et surtout, ajoute-t-il, les décisions de la chambre nationale font jurisprudence : cela influe selon lui, lors des délibérés, sur la sévérité des peines.

Géraldine Langlois

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*La chambre nationale compte, en tout, 24 assesseurs.

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