Immersion dans le service de médecine hyperbare du CHU de Nice

Le service de médecine hyperbare de l’hôpital Pasteur, à Nice, existe depuis 1967. En 50 ans, l’établissement a fait ses preuves : près de 12 000 séances y sont désormais réalisées chaque année et les demandes de prises en charge continuent d’augmenter. 

Caisson hyperbare du service de médecine hyperbare du CHU de Nice. © Malika Surbled

Vous avez tout retiré : montres, bracelets, boucles d’oreilles, dentiers ! », s’exclame Céline Balan, infirmière hyperbariste au CHU Pasteur de Nice, en donnant les dernières consignes aux patients de la prochaine séance de caisson hyperbare. À l’intérieur des chambres, la dizaine de participants va recevoir de l’oxygène à une pression supérieure à celle de l’atmosphère : c’est l’oxygénothérapie hyperbare (OHB). 

« Le principe de réduction des volumes gazeux est l’un des deux grands principes de l’OHB, explique le Dr Andreas Kauert, chef du service. En cas d’embolie gazeuse cérébrale par exemple, les bulles d’air ou d’azote qui bloquent un vaisseau sanguin peuvent, avec la forte pression dans le caisson hyperbare, se réduire et libérer ce vaisseau sanguin. » Le deuxième grand principe de l’OHB est la dissolution de l’oxygène dans l’organisme : avec la pression, la quantité d’oxygène dans le sang est multipliée par vingt environ. Ainsi, les zones qui ont habituellement un faible débit sanguin sont oxygénées et les cellules en bénéficient. « On peut apporter énormément à des tissus ou à des organes qui souffrent d’un manque d’oxygène, qui sont en hypoxie, détaille le Dr Andreas Kauert. C’est le principe le plus important de l’hyperbarie. »

Caisson hyperbare des patients chroniques…

Le service reçoit principalement des patients chroniques, qui viennent pour une période déterminée, tous les jours de la semaine. Pour certaines indications, comme la surdité brusque ou les infections cutanées sévères, la fréquence peut atteindre deux séances par jour, week- end compris. « La majeure partie de notre activité, c’est la cicatrisation en terrain difficile, indique le Dr Andreas Kauert. L’OHB permet de mieux cicatriser grâce à un apport important d’oxygène. Avec le caisson, on peut aussi potentialiser les effets de certains antibiotiques qui agissent mieux en milieu suroxygéné. »

Par convention, les pansements sont refaits toutes les dix séances sur place. Le moteur des pansements qui disposent d’un dispositif de TPN thérapie par pression négative (type Vac®) est éteint et retiré avant l’entrée dans le caisson. © Malika Surbled

Retard à la cicatrisation, mais aussi pied diabétique, ostéo ou radionécrose, traumatologie, fistule de maladie de Crohn, etc. Pour tous ces maux, les séances heb-domadaires de caisson hyperbare peuvent, en complément d’autres traitements, fournir de bons résultats. « Si l’indication est bien posée et que la prise en charge est pluridisciplinaire, la médecine hyperbare est intéressante car elle booste l’efficacité des traitements traditionnels du patient et donc ses résultats,explique Colin Veses, médecin hyperbariste. Par exemple, dans environ 80 % des cas de pieds diabétiques que nous traitons, le suivi hyperbare évite l’amputation. Mais la prise en charge doit être pluridisciplinaire avec le diabétologue, l’infectiologue, le chirurgien vasculaire. En revanche, si on nous envoie un patient avec un pied diabétique en dernier recours, dont le diabète n’est pas équilibré, les résultats ne seront pas bons. » Maria, une patiente du centre, en est à sa cinquantième séance. Elle est suivie pour un retard de cicatrisation en terrain irradié après une chirurgie réalisée en juin 2022. Après une nécrose et l’échec du geste de reprise chirurgicale en septembre 2022, elle est arrivée ici. En quelques mois seulement, elle observe de très bons résultats. « Les cicatrices se referment, il ne me reste que huit séances et ce sera fini, s’exclame-t-elle. Je suis vraiment contente du résultat ! »

Caisson hyperbare … et des urgences

Avant chaque séance les constantes sont vérifiées. Au-delà d’une systolique à 16, les infirmiers peuvent délivrer un antihypertenseur au cas par cas et sur prescription : l’oxygène pur a un effet vasoconstricteur, qui va mécaniquement faire monter la tension. Si une hypertension est détectée pendant la séance, le patient fera une pause à l’air. © Malika Surbled

Les patients chroniques suivis représentent 98 à 99 % de l’activité. Les 1 à 2 % restants concernent des urgences dont les deux principales – les accidents de plongée et les intoxications au monoxyde de carbone – sont traitées en première intention par le service de médecine hyperbare. « C’est une perte de temps de faire transiter les patients par les urgences classiques, car la médecine hyperbare est le seul traitement pour ces deux pathologies, souligne le Dr Andreas Kauert. Quand les patients arrivent, on les stabilise s’ils sont en urgence vitale, puis on les traite avec le caisson. »

Dans le service, cinq à six séances maximum sont réalisées chaque jour ce qui représente une capacité d’accueil de 45 à 50 patients au total. Sur les trois chambres du caisson – qui ne fonctionnent pas toujours toutes en même temps – deux peuvent accueillir jusqu’à cinq patients et la troisième un patient intubé et ventilé, en plus de l’accompagnement par un infirmier ou un médecin hyperbariste. Quand les patients arrivent, ils s’habillent avec une tenue spéciale 100 % coton. Aucun corps gras – maquillage, crème, sébum sur les cheveux, etc. – n’est autorisé dans le caisson en raison d’une réaction spontanément génératrice de chaleur au contact de l’oxygène en conditions hyperbares. En effet, la pression augmente la vitesse de combustion, ce qui signifie qu’une étincelle peut se transformer en incendie beaucoup plus rapidement. Pour cette même raison, il est aussi interdit de prendre un livre pour s’occuper, même si les séances durent 1 h 30… Enfin, tous les participants doivent enfiler une charlotte pour éviter l’électricité statique potentiellement génératrice d’étincelles.

Caisson hyperbare : une activité médico-technique

Caisson hyperbare : La séance va bientôt commencer. © Malika Surbled

Une fois entrés dans le caisson, les patients inhalent de l’oxygène pur – si la pression équivaut à une plongée de 18 mètres ou moins – ou un mélange suroxygéné si la pression dépasse 18 mètres. En dehors, au pupitre de commande, un opérateur caisson est chargé de faire monter la pression dans la chambre. Il doit notamment veiller à ce que le taux d’oxygène ne dépasse pas 23 % pour limiter le risque d’incendie. En général, la pression augmente d’un mètre par minute pour que les patients aient le temps d’équilibrer la pression de l’air dans leurs oreilles. « Après le risque incendie, les otites barotrau- matiques sont le deuxième grand risque du caisson, explique Jean-Baptiste Arsac, infirmier hyperbariste au CHU Pasteur de Nice. Mais si on explique aux patients comment équilibrer les pressions, tout se passe bien. »

Pour cela, il y a trois méthodes. La première consiste à déglutir sa salive ou de l’eau. La deuxième, à déplacer sa mâchoire d’avant en arrière et sur les côtés. Enfin, si ces deux premières méthodes ne fonctionnent pas, il faut essayer la manœuvre de Valsalva : se pincer le nez, garder la bouche fermée et, sans gonfler les joues, souffler de l’air comme si le patient essayait de se moucher. « Dans le caisson, on assure la continuité des soins et on accompagne les patients, poursuit Jean-Baptiste Arsac. Nous sommes là “au cas où” car le but est qu’il y ait toujours quelqu’un capable de gérer une urgence. En cas de crise hyperoxique qui est le troisième effet indésirable potentiel dans un caisson, il faut pouvoir agir le plus rapidement possible pour gérer la crise convulsive. »

Caisson hyperbare : une surveillance rigoureuse

Jean-Baptiste Arsac, infirmier hyperbariste. © Malika Surbled

Avant d’entamer une prise en charge en caisson hyperbare, tous les patients ont une consultation avec un médecin hyperbariste. « Lors de la première consultation, on s’assure que les patients n’aient pas de contre-indications et on fixe le rythme des séances », précise Colin Veses, médecin hyperbare. L’âge ne fait pas partie des contre-indications : le plus jeune patient traité ici n’avait que trois jours lors de son passage, le plus âgé… 103 ans ! En revanche, impossible de faire une séance en cas de pneumothorax non drainé ou de crises d’épilep- sies non contrôlées sous traitement médicamenteux. Il faut d’abord régler ces problèmes avant d’envisager une prise en charge. »

Des évaluations sont ensuite faites au fur et à mesure, lors de consultations de suivi. « Pour les plaies, il y a au minimum une consultation toutes les dix séances avec réfection et adaptation des pansements, détaille Colin Veses. Pour les suivis plus longs, après un AVC par exemple, on revoit les patients au bout de 30 à 40 séances pour déterminer la suite. Enfin, il y a les pathologies intermédiaires, comme les surdités brusques, où l’on réévalue toutes les semaines. » Lors de ce travail, dit “en surface”, les patients voient souvent le médecin et l’infirmier. Outre la réfection des pansements et la surveillance pendant les séances, les soignants assurent tout le travail d’éducation thérapeutique, de pédagogie » « et de soutien auprès des patients. Car certains patients, claustrophobes ou anxieux, supportent mal l’enferme-ment d’une heure trente que nécessite chaque séance.
« En général, une fois la première séance passée, quand tout s’est bien passé, il n’y a plus d’appréhension », assure Jean-Baptiste Arsac. Reste une difficulté incompressible : la fatigue.

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Un savoir-faire et des formations spécifiques

Sur place, l’ambiance « familiale » du centre, selon les mots du chef de service, participe au bon accueil et suivi des patients. L’équipe est composée de cinq infirmiers hyperbaristes, six médecins hyperbares (équivalent 3,8 temps plein), cinq techniciens hyperbares, un cadre technique, trois agents des services hospitaliers et trois agents médicaux administratifs. Les médecins et les infirmiers sont chacun titulaires d’une formation spécifique pour exercer en service hyperbare. 

Julien Pasquinelli, opérateur caisson, contrôle le taux d’oxygène (< 23%) et la pression dans la chambre multiplace. La surveillance visuelle et phonique des patients se fait à l’intérieur et à l’extérieur. Les soignants à l’intérieur sont eux aussi « surveillés » car ils sont exposés à un risque d’accident de désaturation : l’air qu’ils respirent est constitué à 79 % d’azote. © Malika Surbled

Pour les premiers, il s’agit d’un diplôme interuniversitaire de médecine subaquatique et hyperbare, dont l’enseignement mélange théorie et pratique. Pour les infirmiers, c’est un certificat d’aptitude à l’hyperbarie (CAH) avec une formation de deux semaines sanctionnée par un examen et un test d’aptitude à 50 mètres. « À cette profondeur, l’azote va avoir des effets sur le cerveau qui vont mimer l’ébriété, on appelle cela l’ivresse des profondeurs, explique Jean-Baptiste Arsac. Ce test permet de voir si on tolère bien cette ébriété qui est une situation qui peut se présenter par la suite dans le milieu professionnel. » Mais avant de passer le CAH, les infirmiers travaillent d’abord “en surface” au sein du service hyperbare pour se familiariser avec toutes les spécificités.

Caisson hyperbare : moins 15 mètres. À l’intérieur, les patients inhalent de l’O2 pur. Au-delà de 18 mètres, c’est un mélange d’oxygène et d’hélium. © Malika Surbled
Lorsque le matériel n’est pas spécifique, il est systématiquement « testé » par les équipes dans une chambre vide, dans les mêmes conditions de pression. Le redon de droite n’a pas résisté à la pression… © Malika Surbled

Patrick Barel, cadre technique, exerce dans le service depuis 2005. Il accompagne les nouveaux infirmiers dans leur intégration. « La première semaine leur permet de s’intégrer et de comprendre le fonctionnement du centre, explique-t-il. Dès la deuxième, on leur apprend plus précisément les règles pour adapter leur métier d’infirmier au milieu hyperbare comme, par exemple, toujours vérifier que le matériel qui entre dans le caisson est validé et conforme à une utilisation en milieu hyperbare, ce qui n’est pas le cas de tous les redons par exemple qui ne supportent pas toujours la pression. »

Autre exemple de matériel à éviter : les capteurs, sous la forme de patch sur le bras, qui mesurent en continu le taux de glucose pour les personnes diabétiques… Ces dispositifs peuvent se dérégler totalement sous l’effet de la pression. Il faut donc inviter les patients à changer de méthode de contrôle du diabète pendant tout le temps de leur prise en charge hyperbare. Autant de choses à apprendre et à maîtriser… Pour cela, le centre hyper- bare de Nice forme ses infirmiers “en interne”, dans le » « service, durant trois à six mois. « La durée dépend de la carrière de l’infirmier, s’il sort de l’IFSI ça sera plus long que s’il a déjà beaucoup travaillé, poursuit Patrick Barel. Lors des gardes, il n’y a qu’un seul médecin, un seul infirmier et un seul technicien. Il est donc crucial que l’infirmier sache comment faire du début à la fin, sans avoir besoin d’aide. Cela va de l’administratif, l’impression d’étiquettes, à la connaissance parfaite de l’emplacement de tous les équipements qu’il ne faut pas chercher lors d’une urgence. » Quand la formation en interne est validée, l’infirmier peut passer son CAH puis s’immerger dans le caisson avec les patients.

Une pratique contraignante mais intéressante

Le matériel est adapté au milieu hyperbare (en haut : une prise d’air qui permet les échanges d’air pendant les phases de pression et de décompression, en dessous, perfusions sans bulles d’air). © Malika Surbled

Choisir cette activité nécessite donc de « plonger » régulièrement dans le caisson hyperbare. Pour limiter les risques, il est essentiel d’avoir une bonne hygiène de vie.
« On fait jusqu’à deux séances par jour, ce qui abîme l’organisme et, sur le long terme, on risque des problèmes d’ostéonécrose ou d’audition, indique Jean-Baptiste Arsac. On peut aussi être victimes d’accidents de plongée, identiques à ceux qui se produisent en mer, sauf que nous ce sera pour notre travail. » Le métier d’infirmier ou de médecin hyperbariste impacte aussi sur la vie privée : pour éviter les accidents de plongée, il ne faut pas dépasser 500 mètres d’altitude deux heures après avoir plongé et 2 500 mètres quatre heures après. Impossible, donc, de prendre l’avion ou d’aller à la montagne après le travail. La pratique d’une activité physique est aussi déconseillée dans les trois heures qui suivent la plongée. Au niveau national, rien n’est fixé pour compenser ces contraintes et ces risques. C’est à chaque hôpital de décider de la rémunération ou des avantages associés à cette pratique. Au CHU de Nice, c’est deux jours de repos supplémentaires, tous les mois.

Le risque d’incendie est la principale menace en hyperbarie. Pour évacuer les patients, quand le caisson est en marche, il faut trois à quatre minutes pour que la pression revienne à la même valeur que celle de l’atmosphère. © Malika Surbled

Pourtant, à l’approche d’une nouvelle plongée, l’enthousiasme est palpable dans le service. De l’opérateur technique, au pupitre de commande, à l’infirmier hyperbariste dans le caisson, tous accompagnent les patients avec bienveillance, sérieux et bonne humeur. « L’OHB est une thérapeutique spécifique, sourit Jean-Baptiste Arsac. On voit des patients de tous âges, de tous horizons avec des prises en charge médicales ou chirurgicales très différentes. C’est une médecine très variée et polyva- lente, c’est ça qui est plaisant ! » Dernier aspect intéressant : l’OHB est aussi en constante évolution. Le CHU de Nice aura un nouveau caisson d’ici début 2025. Il sera plus grand et doté de nouvelles technologies. Fort de cet outil, le service pourra peut-être consacrer plus de temps à la recherche. « L’un des axes d’amélioration est le développement de nouvelles pathologies à prendre en charge en médecine hyperbare, indique le Dr Andreas Kauert. Parmi les pistes envisagées, il y a le Covid long, les fibromyalgies ou encore les séquelles motrices des traumatismes crâniens. »

L’OHB, une activité médico-technique très sécurisée

Le caisson hyperbare nécessite plusieurs autres dispositifs : la centrale de production d’air, les stations de filtration, les cuves à incendie, les réserves d’air, etc.
« Le matériel est soumis à un contrôle permanent de la part des équipes techniques du service, explique Patrick Barel, cadre technique du centre hyperbare du CHU Pasteur de Nice. Il y a aussi la révision annuelle obligatoire durant laquelle tout est testé : le circuit à incendie, l’étanchéité des hublots, de la machine, etc. C’est comme une voiture, il y a des révisions obligatoires à faire tous les ans !

Diane CACCIARELLA

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Cet article est paru dans ActuSoins Magazine
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