En déploiement sur le terrain à l’hôpital comme en libéral depuis 2019, la pratique avancée infirmière vise à améliorer l’accès aux soins ainsi que la qualité des parcours des patients. Si les infirmiers en pratique avancée et les médecins concernés par une collaboration sont convaincus de son intérêt, ils rencontrent parfois des difficultés limitant leur champ d’intervention.
Créée par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 et officialisée par un décret paru en juillet 2018, la pratique avancée permet à des infirmiers d’exercer des missions plus étendues et d’acquérir des compétences supplémentaires. Pour accéder à cette fonction, les futurs infirmiers en pratique avancée (IPA) doivent suivre une formation de deux ans, avec un master 1 en tronc commun et un master 2 en fonction de la spécialité choisie.
Aujourd’hui, ils ont le choix entre cinq mentions : pathologies chroniques stabilisées, prévention et polypathologies en soins primaires ; oncologie et hémato-oncologie ; maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale ; psychiatrie et santé mentale ; et urgences. Ils exercent leur profession selon des protocoles d’organisation établis avec les médecins et prennent en charge les patients adressés par ces derniers. Mais la loi Rist de juillet 2023 a autorisé l’accès direct aux IPA dans le cadre d’un exercice coordonné avec les médecins.
Cet article a été publié dans le n°51 d’ActuSoins magazine (janvier 2024).
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IPA Infirmiers infirmières en pratique avancée : une bonne intégration
La pratique avancée n’a pas vocation à se limiter essentiellement à « une activité médicale dérogatoire, estime Guillaume Bonnet, IPA en oncologie au CHU Amiens-Picardie. Notre activité va au-delà, elle s’appuie sur des savoirs disciplinaires propre à notre profession, les sciences infirmières ». La pratique avancée s’inscrit ainsi dans la continuité de l’expertise des professionnels concernés. « Elle est l’utilisation de compétences infirmières élargies, pour répondre à un besoin du système de santé qui soit à la fois populationnel, institutionnel, médical et professionnel, explique Marie-Charlotte Druart, IPA mention pathologies chroniques stabilisées, en endocrinologie au CHU Henri Mondor (AP-HP, Créteil). Pour que le projet fonctionne, il doit répondre à ces quatre axes. » Le soutien de l’équipe est aussi indispensable. La définition du contour des actions de l’IPA doit donc être travaillée en équipe et idéalement dans le cadre d’un projet institutionnel.
Les compétences transverses des infirmiers et infirmières en pratique avancée
Les compétences des IPA sont fixées par décret, qui « attribue un rôle clinique et transversal », souligne Céline Marcot, IPA dans le service de néphrologie du CHRU Nancy. L’IPA participe à la prise en charge globale des patients, dont le suivi lui est confié par un médecin, dans le cadre de consultations longues. Il est compétent pour réaliser un entretien avec le patient, effectuer une anamnèse de sa situation et procéder à son examen clinique. Il peut conduire toute activité d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage, effectuer des actes d’évaluation et de conclusion clinique consistant à adapter le suivi du patient, prescrire des médicaments et des dispositifs médicaux non soumis à prescription médicale obligatoire, ainsi que des examens de biologie médicale, et renouveler, en les adaptant si besoin, des prescriptions médicales. Ces compétences ont été élargies avec la parution d’un décret autorisant la primo-prescription de certains médicaments et dispositifs médicaux, conformément aux dispositions de loi Rist. En amont des consultations, l’IPA doit toujours prévenir le patient qu’il va le prendre en charge, ce dernier étant en droit de refuser. À l’issue d’une consultation IPA, un compte rendu est envoyé au médecin traitant du patient et aux spécialistes.
Ces compétences sont toutefois mises en œuvre différemment selon les mentions, et dépendent surtout des protocoles d’organisation établis. Il existe, de fait, autant d’exercices de la pratique avancée, que de services où travaillent les IPA. En voici quelques déclinaisons concrètes.
IPA Infirmière en pratique avancée mention Urgences
Le protocole d’organisation de Nadia Tiberti, IPA aux urgences du CH du Pays d’Aix (Aix-en-Provence) prévoit qu’elle puisse recevoir des patients directement pour des motifs de recours peu complexes listés tels que le traumatisme distal ou la douleur en fosse lombaire. Cependant, l’intervention d’un médecin est nécessaire au cours de la prise en charge pour motifs complexes, type douleurs thoraciques ou abdominales.
Nadia Tiberti intervient en supplément de l’équipe d’infirmiers et de médecins urgentistes, et participe à la fluidification du parcours patients. « L’IPA est un maillon supplémentaire de la chaîne de soins aux urgences et participe à l’amélioration du parcours patient dans des services souvent engorgés, soutient-elle. Pour le moment, nos prises en charge portent sur des patients ambulatoires mais ce nouveau modèle de soin est en évolution constante en fonction de l’évaluation de notre activité et des besoins populationnels. »
IPA Infirmière en pratique avancée mention maladie rénale chronique
Au CHU de Nancy, le protocole d’organisation de Céline Marcot implique les 15 néphrologues du service. Pour libérer du temps médical, les spécialistes lui confient des patients dont l’état de santé global est stable, mais qui peuvent présenter une instabilité potentielle au niveau rénal. Les situations sont parfois complexes en raison des comorbidités et les patients peuvent aussi être très anxieux. « Globalement, la majorité de notre activité est clinique, indique Céline Marcot, précisant suivre environ 200 patients en alternance avec le médecin. Lors des consultations, en plus d’assurer le suivi clinique de l’insuffisance rénale ou de la transplantation, je fais de la promotion de la santé et de la prévention. » Elle veille à ce que le patient vive bien sa pathologie sur le plan social, l’interroge sur d’éventuelles répercussions sur son travail et s’assure qu’il est à jour de son suivi dans d’autres domaines médicaux.
IPA Infirmière en pratique avancée mention Pathologies chroniques stabilisées – exemple de l’endocrinologie
Du côté du CHU Henri Mondor, Marie-Charlotte Druart et les médecins du service d’endocrinologie ont décidé de travailler sur la primo-prescription de l’insulinothérapie. L’objectif est d’assurer un équilibre optimal de la glycémie en tenant compte de l’alimentation du patient et de son activité physique, après son retour à domicile. Ainsi, l’IPA accompagne de manière rapprochée les patients en sortie d’hospitalisation, pendant trois mois. « Je les vois fréquemment avant d’espacer progressivement les consultations pour faciliter le retour à domicile avec les nouveaux traitements », précise-t-elle. L’IPA peut être amenée à faire le lien avec d’autres professionnels de santé, paramédicaux et sociaux. « Dès lors qu’un patient est confronté à des problématiques autres (sociales, professionnelles, familiales), son diabète va passer au second plan [pour lui, NDLR], souligne-t-elle. Nous lui donnons donc les ressources pour régler les difficultés et se concentrer sur sa pathologie. »
Le poste de Marie-Charlotte Druart pourrait être amené à évoluer avec la signature d’un protocole de coopération entre les médecins du service et les infirmiers de soins généraux, qui reprendraient une partie de son activité. L’évolution de ses compétences pourrait concerner le développement de nouveaux parcours de soins transdisciplinaires ou en lien avec la ville, les prises en charge complexes bio-psycho-sociales, et l’accueil des personnes arrivant une première fois dans le service.
IPA Infirmier en pratique avancée mention Pathologies chroniques stabilisées – exemple en libéral
« Exercer cette mention en soins primaires me permet d’utiliser tout le volet de mes compétences médicales de manière plus généraliste qu’un IPA hospitalier, qui va plus souvent se spécialiser dans la discipline médicale de son service », explique Alexis Blanc, IPA au sein d’une Maison de santé pluriprofessionnelle à Langogne (Lozère).
En fonction du parcours, l’IPA accueille le patient, évalue son besoin et son état de santé sur les aspects bio-psycho-sociaux. « Outre l’adaptation des traitements, une grande partie de mon temps, en consultation, consiste à échanger avec les patients, l’examen clinique étant la plus petite partie de mon activité », précise-t-il. Lors de cet échange, il peut ainsi s’assurer que le patient a compris sa pathologie et la stratégie thérapeutique mise en place par le médecin. Il coordonne aussi les parcours de soins, en vérifiant que les patients ont effectué tous les examens nécessaires pour leur suivi. « Cette démarche est assez bien vécue par les patients, qui ont le sentiment que nous n’avons rien oublié lorsqu’ils sortent de la consultation », se félicite Alexis Blanc.
Pour les bilans ponctuels, il assure principalement des bilans d’évaluation, de prévention, de promotion de la santé ou d’évaluation précoce pour accélérer la prise en charge. Il peut alors réorienter les patients vers les médecins si nécessaire.
IPA Infirmier en pratique avancée mention Oncologie et l’hémato-oncologie
Guillaume Bonnet assure le suivi des patients sous thérapie orale en oncologie. L’oncologue va généralement lui orienter les patients fragiles, par exemple sujets à des problématiques d’observance ou avec un niveau socioculturel plus faible ou des comorbidités. « Lors de la primo-prescription, nous recevons les patients en consultation tripartite avec le médecin qui prescrit, le pharmacien qui assure la conciliation médicamenteuse, et moi-même qui effectue l’évaluation des besoins en soins de support », explique-t-il. Il réalise ensuite le suivi, en alternance avec le médecin, qui revoit le patient tous les trois mois, post-imagerie de contrôle. « Je renforce le suivi clinique et la surveillance pour dégager du temps médical », insiste-t-il. Il procède au renouvellement des chimiothérapies, à l’adaptation des posologies, à l’évaluation de l’observance ou encore à la prescription de traitements de support sur validation du médecin. Il peut aussi être amené à effectuer de la coordination en faisant le lien avec la pharmacie, le médecin traitant ou l’assistante sociale.
IPA Infirmière en pratique avancée mention Psychiatrie et santé mentale
Au CH Charles Perrin à Bordeaux, Aude Sibert, IPA, intervient au sein de la filière de réhabilitation psychosociale. « Elle s’adresse principalement à des personnes ayant des troubles psychiques sévères, ayant besoin d’un accompagnement pour évaluer leur handicap et leurs ressources pour ensuite construire un projet de sortie d’hospitalisation », rapporte-t-elle. Le protocole d’organisation, signé avec des psychiatres, lui permet de rencontrer les patients dans l’unité de crise afin d’effectuer un point sur leur projet, leur envie et les conséquences de leurs troubles sur leur vie. Elle présente ensuite le compte-rendu de l’entretien dans une commission pluridisciplinaire afin de décider si le patient peut être intégré dans la filière. « Nous élaborons alors un plan de suivi personnalisé à partir des envies et des besoins de la personne », souligne-t-elle.
Une partie de l’activité d’Aude Sibert est consacrée au suivi des personnes en ambulatoire, en coordination avec le médecin, où elle assure des missions d’évaluation clinique, d’éducation, de promotion de la santé, d’orientation, d’accompagnement vers le rétablissement, de prescription d’examens paracliniques, d’adaptation et de renouvellement de traitements. « La plupart de mon temps, je mets en œuvre des missions qui ne sont pas dans le giron du relai médical, indique-t-elle. Ce sont des missions de collaboration et de leadership. Je développe le rôle infirmier. »
Les évolutions attendues
Malgré une implantation qui s’accélère, plusieurs éléments sont pointés du doigt par les IPA pour permettre leur évolution. « J’ai rencontré de nombreux freins lors de mon arrivée, confie Marie-Charlotte Druart. Par exemple, je n’avais pas de box de consultation, de bureau, de poste informatique avec des codes adaptés. Des collègues ont dû me faire de la place. L’arrivée d’un IPA peut bousculer les habitudes et demande à être anticipée. » Autre frein constaté : la représentation qu’ont certains professionnels de la pratique avancée ou encore le manque de soutien dans certains projets proposés notamment dans la recherche infirmière, qui doit représenter 20 % de leur activité.
Parmi les autres aspects à améliorer soulignés par presque tous : la rémunération, loin d’être à la hauteur de leur responsabilité et de servir de levier motivationnel. « D’un point de vue intellectuel, nous sommes gagnants avec la pratique avancée, conclut Guillaume Bonnet. Mais en termes de revenu et de qualité de vie, ce n’est pas le cas. Une grande partie de mon activité empiète sur ma vie privée. »
« Nous plaidons pour une approche populationnelle de la pratique avancée »
Infirmière en pratique avancée en oncologie hépatique à l’hôpital Beaujon (Clichy-la-Garenne), Julie Devictor est également présidente du Conseil national professionnel (CNP) IPA. Une fonction qui permet de porter nombre de propositions pour asseoir la pratique avancée en France.
D’après un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), les médecins constituent le principal frein à l’implantation des IPA sur le terrain. Comment les aider à sauter la première marche ?
Ce constat est plus particulièrement vrai en libéral, car dès lors que les médecins sont salariés, ils manifestent moins de difficultés à travailler avec des IPA. En libéral, leur principale crainte porte sur une hypothétique captation de la patientèle, donc la perte de chiffre d’affaires associée. Ce raisonnement caricatural démontre une méconnaissance de l’intérêt de la pratique avancée. Nous le répétons : la pratique avancée doit s’exercer en complémentarité de l’intervention médicale, notamment dans le cadre de situations complexes.
A l’hôpital, la problématique est autre. Les hospitaliers peuvent avoir le sentiment que les infirmiers sont déjà IPA. Ils prônent une formation accélérée et souhaitent détenir leur propre mention en pratique avancée.
Justement, que pensez-vous de toutes les expertises infirmières ou spécialités médicales qui revendiquent cette mention en pratique avancée ?
Nous avons beaucoup de réserves sur ce sujet car nous prônons, pour la pratique avancée, une approche globale des patients. De la part des infirmiers, l’absence de valorisation de leurs expertises les conduit à se considérer comme étant déjà des IPA ou à vouloir être reconnus comme tels. Ce qui n’est pas le cas. Les infirmiers vont être experts d’une problématique clinique spécifique tandis que les IPA doivent détenir une approche globale de la situation des patients. Ils doivent se décentrer de leur expertise pour être compétents dans tous les à-côtés requis par l’approche globale. Nous ne soignons pas une pathologie mais une personne. De plus, la multiplication de mentions créerait des « niches » avec finalement, très peu d’étudiants en formation. Nous le constatons déjà dans le cadre de certaines mentions. Pour cette raison, nous plaidons pour leur évolution, repensées plus largement, non pas par pathologie ou organe mais à visée populationnelle.
L’accès à la recherche et la rémunération sont au cœur des difficultés rencontrées par les IPA. Des évolutions sont-elles attendues ?
Il est évident que les grilles salariales des IPA sont clairement en-dessous de nos attentes. Il n’y a quasiment pas de revalorisation entre un IDE de soins généraux et un IPA malgré sa formation complémentaire de deux ans, ses responsabilités et son volume horaire de travail. Nous avons toutefois obtenu, comme les infirmiers anesthésistes, une prime spécifique de 180 euros brut. Mais aujourd’hui, un IPA débutant perçoit environ 2 000 euros net, alors qu’un salaire d’environ 3 000 euros net serait légitime en début de carrière. Pour les libéraux, des nouveaux forfaits sont appliqués depuis mars 2023 avec la signature de l’avenant 9 à la convention nationale des infirmiers. Il est encore un peu tôt pour en mesurer l’impact. Néanmoins, si cette hausse représente une avancée, il est probable qu’elle reste insuffisante.
Côté recherche, les IPA sont étiquetées comme des cliniciennes, et c’est normal. Les besoins à l’hôpital sont tels que nous ne refusons pas de demande de prise en charge d’un patient de la part des médecins. D’autant plus que nous sommes encore en pleine implantation. De fait, dès que les équipes manifestent une confiance et l’envie de travailler avec nous, il nous est difficile de refuser par manque de temps. Résultat, les activités de recherche sont souvent menées sur du temps personnel. Pourtant, une partie de notre temps de travail doit y être dédiée. Il faudrait davantage de communication sur notre rôle dans l’analyse, l’amélioration des pratiques professionnelles et la recherche pour que ce temps nous soit reconnu et accordé.
Le CNP IPA signale régulièrement des disparités dans la formation dispensée par les différentes universités. Où en est ce dossier ?
Sans remettre en cause l’indépendance des universités, nous constatons en effet une grande hétérogénéité dans la formation des IPA avec notamment d’importants écarts en termes d’heures d’enseignements en fonction des Unités d’enseignements (UE) ou concernant la gestion de la validation des acquis de l’expérience (VAE) ou de la validation des études supérieures (VES). C’est pour nous une grande erreur de rogner sur la première année de formation des IPA car il s’agit du socle de la pratique avancée, indispensable pour exercer en sécurité et en compétences. Aujourd’hui, les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur semblent en avoir pris conscience. Nous proposons, de fait, d’identifier des bases fondamentales en termes d’enseignements et de formation, et de sanctuariser des UE indispensables, qui ne pourront pas être validées par la VAE ou la VES. C’est le cas notamment pour l’enseignement clinique en première année, qui relève des compétences exclusives des IPA. Nous allons prochainement aborder la question.
Laure Martin
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Cet article a été publié dans ActuSoins Magazine
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