Le management participatif se pratique de plus en plus dans les établissements de santé. Que recouvre ce terme dont se saisissent les directions et les cadres ? Quelle incidence sur les soignants ?
Cet article a été publié dans le n°50 d’ActuSoins magazine (septembre-octobre-novembre 2023).
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Le management participatif à l’hôpital a fait son entrée dans le système législatif avec la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification.
Le texte encourage l’intégration, dans le projet d’établissement des hôpitaux, de projets de gouvernance et de management participatif, visant notamment à prévenir les risques psycho-sociaux et les conflits, et d’assurer l’égalité femmes-hommes.
À l’hôpital Foch (Île-de-France), la mise en œuvre de ce type de management est récente. « Nous avons réalisé tardivement que nous étions confrontés à des problèmes de recrutement infirmier », explique Dominique Reynaert, directrice des soins. Face à ces difficultés de recrutement mais aussi au turn-over des soignants dans les services, la direction s’est interrogée sur la façon de redynamiser les équipes fatiguées. Elle a mené une enquête bien-être auprès de ses soignants tout en s’intéressant aux démarches des autres établissements qui avaient déployé le management participatif.
Le concept du management participatif
Derrière ce terme, les objectifs sont nombreux : développement du leadership infirmier, travail interprofessionnel, en équipe et collaboratif, qualité des soins, délégation, autonomie, accompagnement des étudiants.
Autant d’intentions qui nécessitent de se questionner sur la façon « d’embarquer » les collaborateurs et les cadres dans la dynamique. Car l’objectif avec le management participatif est de replacer les soignants au centre de l’écosystème hospitalier afin de les associer aux prises de décisions et de les rendre autonomes. « Pour devenir acteurs de leur établissement et s’épanouir davantage, les soignants sont face à des enjeux de participation sur leur espace de travail », pointe Quentin Henaff, responsable adjoint du pôle Ressources humaines à la Fédération hospitalière de France (FHF).
« Dans ce type de management, les cadres doivent consulter les soignants, entendre leurs avis, puis décider ou non d’en tenir compte, précise Aurélien Pierre, expert RH à l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-social (ANAP). Ils doivent se nourrir des décisions sans pour autant toutes les retenir. C’est d’ailleurs peut-être une limite ; la prise de décision peut être plus longue, tout le monde étant consulté. En revanche, le produit final est robuste. »
Ce nouveau mode de management vient casser le modèle existant depuis des décennies et jusqu’alors davantage tourné vers un fonctionnement vertical. Avec le management participatif, le mot d’ordre est d’oser et faire confiance. « Il faut donc tout s’autoriser, expérimenter, capitaliser sur les expériences de chacun, ajoute Aurélien Pierre. Les soignants, en tant qu’experts du quotidien, peuvent avoir à partager des éléments que les cadres, les directeurs des soins, ne connaissent pas nécessairement. »
L’expérimentation de nouvelles idées implique d’adopter le droit à l’erreur, car en essayant, il est possible de se tromper. Replacer le soignant au cœur des décisions devient alors un levier d’attractivité et de fidélisation en raison de l’autonomie laissée aux équipes
Management participatif : l’acculturation des managers
Ce mode de fonctionnement requiert une ouverture d’esprit pour les managers. « L’hôpital est souvent organisé autour de formats contraints de réunions, alors que le management participatif implique de laisser la parole aux autres, de mettre en place des laboratoires collaboratifs pour confronter les idées et s’interroger sur la manière de faire remonter les informations, explique Aurélien Pierre. Les échanges peuvent être formels ou informels mais dans tous les cas, il faut de la confiance pour tendre vers de l’innovation collaborative, de l’intelligence collective et de l’autonomie. »
Il peut d’ailleurs être intéressant de l’inscrire dans une charte de fonctionnement. Cette notion d’acculturation implique la mise en place de formations pour les managers, en fonction de l’évolution des besoins, afin que le projet soit structurant. « Il faut aussi former à la capacité de dire, d’agir et de lâcher prise, conseille Aurélien Pierre. Faire confiance, s’en remettre à l’autre, n’est pas aisé, d’autant plus qu’à l’IFCS, les cadres apprennent à ″contrôler″ alors qu’avec le management participatif, ils doivent lâcher. »
À l’hôpital Foch, la direction a commencé par lancer un grand mouvement visant à former une quarantaine de cadres, afin de les embarquer et de modifier leurs modalités de travail. « Il fallait les faire réfléchir à la façon d’impliquer les collaborateurs et d’encourager ces derniers à s’exprimer, à participer davantage à des prises de décisions, tout en mettant des limites », explique Dominique Reynaert.
Les cadres ont eux-mêmes pu exprimer leur vision de la direction des soins, leurs attentes et les points d’amélioration envisagés. En 2022, un organisme a dispensé un cycle de formation (tous les deux mois pendant un à deux jours) sur les grands principes du management participatif. Les cadres ont ensuite souhaité poursuivre la formation en co-développement, par petits groupes de cinq environ, afin de permettre à chacun d’exposer ses problématiques managériales pour trouver ensemble des solutions.
En parallèle, deux méthodes ont été testées pour les équipes. Tout d’abord, la process com, une méthode de communication et de management, où chacun apprend à connaître son profil communiquant et à repérer les profils des confrères afin de comprendre leur fonctionnement. Une démarche utile en cas de problème de communication au sein des équipes. « Cette année, tous les services de soins vont suivre cette formation », fait savoir Dominique Reynaert. L’année dernière, deux ateliers collaboratifs ont également été testés autour des situations qui causent de l’agacement, de la frustration ou du mécontentement, les « irritants ». Les ateliers sont déployés cette année dans tous les services, « ce qui traduit notamment un besoin de se coordonner et de mieux travailler ensemble », précise-t-elle.
Un travail sur les irritants
Ce travail sur les irritants a également été mis en œuvre à l’hôpital Trousseau du CHRU de Tours, notamment au sein du laboratoire d’hématologie-hémostase. « Lorsque je suis arrivée en 2020, j’ai observé que les différents corps de métiers du service, à savoir les techniciens de laboratoire, les infirmiers, les secrétaires ou encore les agents d’entretiens, fonctionnaient en silo », se rappelle Céline Foubert, cadre de santé.
En parallèle, sa direction lançait un appel aux volontaires pour la mise en place du management participatif dans les services. Face à cet appel et à son propre constat, Céline Foubert décide de postuler. « Avec le chef de pôle, la cheffe de service et la cadre supérieure de santé, nous avons suivi une formation sur la mise en place de ce management, afin de valider notre candidature », souligne-t-elle.
Des volontaires au sein des équipes médicales, paramédicales et administratives ont également été formés afin que tous détiennent les outils clefs pour la mise en œuvre du projet. Les membres du service ont ensuite décidé de travailler sur les irritants. Ils ont alors construit un tableau du management, affiché dans le service, avec des cases dédiées aux problématiques identifiées et partagées par les agents ; la date à laquelle le problème doit être résolu ; les membres de l’équipe chargés de trouver les solutions ; les actions à mettre en place ; et le suivi.
« Lors d’une courte réunion hebdomadaire, qui se déroule tous les vendredis de 12h15 à 12h30, les membres de l’équipe se réunissent devant le tableau afin de lire les irritants et faire le point sur les solutions déjà déployées, explique Céline Foubert. Nous les enlevons du tableau uniquement lorsqu’ils sont réglés. » Et d’ajouter : « Tous les membres de l’équipe sont intégrés dans la gestion des problématiques afin qu’ils se sentent tous concernés. Ce gain de temps est précieux et nous permet de limiter l’organisation de réunions puisque les agents s’enquièrent des problèmes, s’approprient la réflexion et trouvent les solutions par eux-mêmes. Je n’ai donc pas à imposer de décisions. »
Virginie Pay, infirmière au sein du service, approuve totalement ce management participatif, qui encourage à partager les difficultés rencontrées. Elle a d’ailleurs eu l’occasion d’inscrire un irritant sur le tableau. « Dans le service, certains jours, l’infirmière exerce seule et parfois nous sommes deux, mais pour autant l’organisation de l’équipe n’en tenait pas compte. C’était problématique notamment pour les consultations car les secrétaires fixaient autant de rendez-vous que l’on soit seule ou deux. »
L’inscription de la problématique sur le tableau des irritants a permis de trouver une solution et à chacun d’apprendre à mieux connaître le travail de l’autre. Autre exemple en cours : à la remise des résultats de biologie aux patients, ces derniers sont nombreux à solliciter les infirmières pour obtenir des explications. « Nous travaillons avec le laboratoire de biologie médicale pour réfléchir à la rédaction d’un commentaire à côté des résultats afin de faciliter leur compréhension », indique Virginie Pay. Jusqu’à présent, 140 irritants ont été solutionnés.
Management participatif : une impulsion de la direction
Pour que le management participatif fonctionne, le concept doit nécessairement être porté par la direction. « Il est important de dissocier le management participatif, d’un comportement de management participatif », précise Aurélie Pierre. Et d’expliquer : « Les cadres sont formés à l’écoute active et au dialogue social, ce qui concourt à cette attitude participative. Pour autant, le management participatif est davantage politique et s’inscrit dans un projet d’établissement stratégique. La direction doit impulser une dynamique collaborative. »
« La gouvernance institutionnelle doit soutenir ce management, rendre les conditions de son expression possibles, poursuit Quentin Henaff. Cependant, il ne se dicte pas, il se construit. Il faut donc des moteurs dans les services, avec une envie de participer, car cette participation ne peut pas être créée ″d’en haut″. »
Pour accompagner les établissements, la FHF a publié en mars 2023, un Cahier technique sur le management participatif et collaboratif. « Nous souhaitons montrer que les pratiques théoriques et l’expérience de la crise sanitaire, peuvent s’appliquer sur un projet long et itératif, et non uniquement dans un contexte de crise, souligne Quentin Henaff. Avec ce travail, nous théorisons ce management dans le but de sortir des problématiques d’attractivité. »
Déjà en œuvre dans certains établissements, il n’est, selon lui, pas encore assez montré. « Nous avons le sentiment qu’aujourd’hui, les pratiques sont hétérogènes et dépendent de la culture des établissements », ajoute-t-il. La doctrine de la FHF ? « Chacun peut faire de la participation à son niveau, il suffit de la structurer progressivement afin que tous se sentent légitimes », soutient-il.
Il faut toutefois tenir compte de deux enjeux : « Les instances déjà existantes au sein des établissements ne doivent pas se sentir dépossédées de leur rôle, sous prétexte qu’elles ne sont pas des lieux de discussions, de même qu’en parallèle, il ne faut pas créer des espaces vides de sens, au sein desquels il est fait semblant de proposer de la participation, au risque d’accentuer la frustration des équipes. D’où l’importance d’appliquer une méthodologie et de la construire étape par étape », conclut Quentin Henaff.
Laure Martin
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