Naturopathie, reiki, sophrologie… Ces thérapies alternatives sont souvent mêlées à la médecine conventionnelle, et parfois proposées au sein même de structures de soins. Or les risques de dérive sont réels : d’où la nécessité de définir des limites entre ce qui relève de la santé et le reste.
Cet article a été publié dans n°49 d’ActuSoins Magazine (juin 2023).
89 % C’est le pourcentage de français qui ont déjà eu recours à une pratique de soin non-conventionnelle d’après un récent sondage de l’institut Odoxa pour le compte de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu.
Des thérapies alternatives plébiscitées par les français
L’Unadfi a publié à la mi-mai 2023 un sondage réalisé mi-avril 2023 par l’institut Odoxa sur les relations des Français avec les pratiques thérapeutiques alternatives*. On y apprend que 89 % de la population les utilise. Les plus prisées sont l’ostéopathie (46 % y ont déjà eu recours), l’homéopathie (42 % d’utilisateurs), les huiles essentielles (37 %), l’acupuncture (21 %), le magnétisme (16 %), la sophrologie (15 %)… Et pour les Français, il ne s’agit pas uniquement d’un hobby : 58 % estiment que les thérapies alternatives permettent de compenser les insuffisances du système de du système de santé en ce qui concerne « la difficulté à obtenir des rendez-vous avec les médecins », et 52 % considèrent qu’elles constituent un remède aux « consultations trop rapides, expéditives ». Les répondants sont par ailleurs nombreux à croire en la supériorité des thérapies alternatives sur la médecine conventionnelle : 57 % considèrent que les premières sont aussi efficaces, voire plus efficaces que les secondes « de façon générale ». Ils sont 72 % à professer la même opinion en ce qui concerne les maux du quotidien, et tout de même 35 % en ce qui concerne les maladies chroniques et les pathologies graves. Par ailleurs, 16 % déclarent avoir déjà renoncé à un traitement médical au profit d’une thérapie alternative.
*auprès d’un échantillon représentatif de 1 005 personnes
Autant dire que ces pratiques sont loin d’être marginales au sein de notre société. Aucun problème, diront certains, tant que ces pratiques n’empêchent pas le recours aux services de la médecine conventionnelle quand cela est nécessaire. Mais c’est là que le bât blesse : parfois exercées par d’anciens soignants, voire implantées dans les établissements de santé, ces approches entretiennent un certain flou sur la limite qui les sépare de la médecine. Voilà qui n’est pas sans susciter une certaine inquiétude.
« Les thérapies alternatives sont en expansion de manière assez importante, notamment au travers du marché du bien-être, et au travers du flou qui est entretenu par une partie des acteurs entre le bien-être et la santé », analyse le Dr Pierre de Brémond d’Ars, généraliste et président de No FakeMed, une association qui défend la médecine fondée sur les preuves et que ce développement inquiète. « Il y a des discours assez inquiétants, les gens mettent sur le même niveau ces pratiques et la médecine, constate-t-il. Et ces praticiens, qui se font passer pour l’équivalent d’un médecin, peuvent finir par dire : “peut-être que vous n’avez pas besoin d’un médecin, puisque vous m’avez moi” ».
Cet article a été publié dans n°49 d’ActuSoins Magazine (juin 2023).
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Thérapies alternatives des conséquences dévastatrices
Selon ce médecin francilien, les conséquences peuvent être dévastatrices. « Il n’y a pas que la perte d’argent pour le patient, souligne Pierre de Brémond d’Ars. Il y a aussi une perte de temps qui peut entraîner des retards de diagnostic : si certains symptômes qu’un naturopathe, par exemple, interprétera comme le signe de ce qu’il nomme un déséquilibre acido-basique sont en réalité les premiers signes d’un problème de diabète, on démarrera les soins plus tard et le traitement sera plus compliqué. »
Le président de No Fakemed pointe également le risque de « dérive thérapeutique », avec le développement d’un « lien de soumission » entre le thérapeute et son client qui peut aller jusqu’à la dérive sectaire.
Et il ne faut pas croire qu’il s’agit là de la vision de quelques associations comme l’Unadfi ou le collectif No Fakemed. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a traité en 2021, selon son dernier rapport d’activité, 744 saisines en lien avec la santé. 70 % concernaient les pratiques de soins non conventionnelles telles que la naturopathie, le reiki, la nouvelle médecine germanique… « La place des pratiques de soins non-conventionnelles devient un enjeu de santé publique, peut-on lire dans ce rapport. La désertification médicale des campagnes françaises n’est pas étrangère à ce phénomène qui prend des proportions inquiétantes et contribue à créer une insécurité sanitaire. En effet, les organisations sectaires créent des connexions entre plusieurs microstructures qui proposent des soins non éprouvés et des formations pour devenir thérapeute […]. Leur but est de réaliser une concentration dans le domaine de la santé et du bien-être, voire de concurrencer le système de santé officiel. »
Mi-naturopathe, mi-infirmière
Reste que fort heureusement, quand on échange avec les thérapeutes en question, on ne se retrouve pas systématiquement face à de dangereux gourous. Et s’il est vrai que certains pratiquent le mélange des genres dénoncé par Pierre de Brémond d’Ars, tous ne vont pas jusqu’à détourner leurs clients de la médecine conventionnelle.
Céline Fleurbayx, par exemple, naturopathe installée dans la métropole lilloise, est une ancienne infirmière, et n’en fait pas mystère sur son site internet, probablement consciente du fait que cette particularité mettra ses clients en confiance. Mais selon elle, il s’agit d’autre chose que d’un argument commercial. « Je ne sais pas si j’aurais pu être naturopathe sans être infirmière, confie t- elle. À l’IFSI, on nous a enseigné les pathologies dans le détail, bien plus profondément que lors de ma formation de naturopathe, et cela m’aide énormément quand les patients me parlent de leur traitement. »
Par ailleurs, loin d’opposer naturopathie et médecine, la Nordiste reconnaît que la seconde « fait des choses incroyables », et assure recommander aux personnes qui viennent la voir de demander l’avis de leur médecin aussi souvent que nécessaire.
À noter tout de même : cette bonne intelligence affichée avec la médecine n’est pas à généraliser à tous les naturopathes, ni à toutes les thématiques. Le groupe de travail « santé » de l’Unadfi soulignait ainsi, dans le compte rendu de ses travaux sur les pratiques alternatives pour l’année 2022-2023, les « liens entre la naturopathie et le courant anti-vaccination », la vaccination étant considérée par ce courant comme « une intervention extérieure de l’ordre du sacrilège, car elle affaiblirait l’immunité naturelle avec laquelle tout être humain naîtrait ».
Christine Tatareau pousse peut-être encore plus loin l’interpénétration entre médecine conventionnelle et pratiques alternatives. Cette infirmière libérale toulousaine s’est formée à la kinésiologie, et a pour objectif d’ouvrir prochainement un cabinet dédié à cette pratique.
Elle s’intéresse également aux états modifiés de conscience et à la transe cognitive auto-induite (TCAI). Mais attention, il ne faut pas s’imaginer qu’il s’agit de danses endiablées et de substances plus ou moins licites. « Quand on parle de transe, les gens pensent tout de suite aux chamans, à ce genre de chose, mais ce que je fais est très différent », précise-t-elle. Et de fait, Christine participe à un protocole de recherche sur l’utilisation de la TCAI en oncologie, en partenariat avec le CHU de Liège. Elle précise qu’elle ne cherche pas à opposer pratiques conventionnelles et non-conventionnelles, mais qu’elle les voit comme complémentaires, et bien distinctes.
« Je ne suis pas déçue par la médecine conventionnelle, mais mon expérience m’a appris que des techniques telles que la méditation, la sophrologie, vous aident à traverser les épreuves, estime-t-elle. Ce sont des choses que la médecine conventionnelle ne va pas vous apporter, elle ne cherche pas à accompagner les gens dans un sens plus large. » Voilà qui n’empêche pas la Toulousaine d’alerter sur les risques liés à certains praticiens non-conventionnels. « Je comprends que certaines personnes se méfient », reconnaît-elle. Et l’infirmière d’appeler à « faire un tri », notamment en raison du risque de dérive sectaire, ou encore pour des pratiques à risque comme le jeûne.
Thérapies alternatives : risques importants de manipulation
Et c’est justement ce tri qui, selon certains observateurs, n’est pas suffisamment fait. Dans le dernier rapport de la Miviludes, Céline Bensoussan, Fabienne Jules-Percebois (psychologues cliniciennes) et le Dr Jean-Marc Huygue (généraliste) alertaient notamment sur les risques de dérives liés aux soins de support en cancérologie. « Professionnels de terrain, nous constatons la multiplication d’offres thérapeutiques noyées dans le flou de la définition des soins de support », alertaient ces trois soignants de la région Occitanie.
Ceux-ci ont collecté les propositions de soins de support adressées aux comités départementaux de la Ligue contre le cancer, ou mises en avant directement sur les lieux de soin. Ils ont également recueilli des informations dans divers salons du bien-être. Ils ont constaté « avec étonnement », que « dans les services de soins, des conseils officieux pour orienter les patients vers telle ou telle pratique, ou pour informer directement du nom d’une personne soignante ou non qui propose ces pratiques » étaient loin d’être rares. « Hôpitaux, cliniques mais aussi associations […] souhaitent proposer une vitrine innovante et originale au détriment du patient et au risque de se faire le garant de pratiques déviantes », déplorent les auteurs qui pointent « les risques importants de manipulation mentale, d’atteinte à la dignité et à la liberté des malades qui peuvent se retrouver dans des pratiques aliénantes ».
Vigilance requise
C’est pourquoi Anne-Sophie Dhouailly, directrice des soins de la clinique du Cap d’Or à La-Seyne-Sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et présidente de l’Assocap, l’association de soins de support de l’établissement, dit être particulièrement attentive au recrutement des bénévoles qui interviennent dans ce cadre. Ce recrutement est d’ailleurs fait en lien avec les oncologues du service, précise-t-elle. « Il faut être très vigilant, j’ai par exemple observé, dans le domaine de l’aromathérapie, des conseils un peu extrêmes, relate-t-elle. Les plantes, c’est bien, mais ce n’est qu’un complément, et il ne faudrait pas que certains patients, quand ils se voient proposer ce type de soins, se disent qu’ils peuvent arrêter leur chimiothérapie. »
Et si elle dit n’avoir jamais observé ce cas de figure dans son établissement, elle se souvient en revanche avoir « vu arriver des patients métastatiques qui n’avaient pas été pris en charge en amont car ils avaient été orientés vers des thérapies alternatives, ce qui était catastrophique ». C’est pourquoi la soignante se dit particulièrement à l’écoute des retours des patients concernant les soins de support dont ils bénéficient. « Les équipes médicale et paramédicale sont très attentives », assure-t-elle.
Reste que pour Pierre de Brémond d’Ars, de No Fakemed, le mieux est encore de se passer complètement des thérapies alternatives. « On n’a pas forcément besoin de magie pour apporter quelque chose au patient, soutient-il. C’est vrai que notre système de santé est débordé, qu’on ne parvient pas toujours à traiter les patients comme on le voudrait… Mais on peut faire du beau soin en pratiquant une médecine basée sur la science, et il faut continuer à se battre pour apporter au patient le soin qu’il mérite. »
Adrien Renaud
Cet article est paru dans ActuSoins Magazine en juin 2023
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