Fruit d’un partenariat entre le Centre Hospitalier du Pays d’Aix (CHIAP) et le Centre Gérontologique St Thomas de Villeneuve, l’équipe mobile gériatrique extra-hospitalière est une unité innovante capable d’intervenir rapidement pour favoriser le maintien au domicile des personnes âgées.
Cet article a été publié dans le n°44 d’ActuSoins Magazine (mars-avril-mai 2022).
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C’est par un froid matin d’hiver que l’équipe mobile aixoise se réunit dans les locaux du Centre Gérontologique St Thomas de Villeneuve pour échanger sur les missions à venir. Composée de deux infirmières, d’une ergothérapeute, de deux médecins gériatres, d’une psychologue, d’une secrétaire et d’une assistante sociale, l’équipe mobile gériatrique extra-hospitalière, dite EMG EH, est un service public financé par l’ARS dont les demandes d’interventions sont toujours réalisées en accord avec le médecin traitant.
La réunion hebdomadaire de début de semaine est un temps fort pour l’équipe. Certains n’étant détachés qu’à 25 % ou 50 %, difficile pour eux d’être systématiquement ensemble lors des interventions. Alors le lundi matin, c’est le moment de faire le lien, d’échanger les informations, de prévoir les plannings…
Leur mission ? Réaliser des évaluations gériatriques multidisciplinaires au domicile de patients âgés de 75 ans ou plus et résidant à vingt minutes de voiture au maximum. Le but est de rendre des préconisations afin de soutenir le maintien au domicile en premier lieu, mais également d’éviter des recours non pertinents aux urgences et de soutenir les patients et leurs proches dans des situations gériatriques complexes.
Évaluer et préconiser
« L’équipe va évaluer les conditions de vie » explique Sophie, infirmière, « Lorsque l’on nous contacte, on commence par enquêter sur les différents comptes rendus auxquels nous avons accès afin de savoir qui sont les aidants principaux et si des aides sont déjà mises en place. A partir de là, on se rend chez le patient pour réaliser une expertise. Nous essayons de déterminer tout ce qui est possible de faire pour favoriser un maintien à domicile, dans le cas contraire, nous pouvons préconiser une orientation vers les services hospitaliers ou en Ehpad ».
Une position claire et une fonction précise, en appui des solutions existantes, qui ne comporte ni soin médical, ni intervention d’urgence médicalisée, ni suivi des patients. Corinne, la seconde infirmière de l’équipe, complète : « La visite à domicile permet d’évaluer l’aspect psychologique du patient, l’adaptabilité du domicile mais également de déterminer s’il y a une nécessité de demander une augmentation des aides. Ensuite, c’est le médecin gériatre qui, en fonction de notre rapport, établit les ordonnances et décide du suivi ».
Imaginer un environnement adapté
L’autre Corinne de l’équipe, ergothérapeute, joue un rôle clef dans l’intervention. Elle évalue la marche, les risques de chute, les obstacles et propose ensuite des solutions matérielles et concrètes pour permettre une meilleure autonomie en toute sécurité.
« Il existe de nombreuses solutions assez simples à mettre en place et qui ne nécessitent pas de gros travaux. Par exemple, dans une baignoire, il est possible d’installer des planches de bains et des sièges pivotants » précise l’experte. « L’idée est de perturber le moins possible la personne dans ses habitudes tout en soulageant l’entourage, ajoute-t-elle. Un jour, j’ai installé une enceinte à laquelle la patiente, qui avait des problèmes auditifs, pouvait ordonner d’augmenter ou de baisser le son de la télévision. Ce n’était pas grand-chose à installer mais cela a considérablement aidé à diminuer les sollicitations aux aidants ».
Parmi les autres missions principales de l’équipe, évaluer les troubles de l’humeur, la nutrition ou encore les troubles cognitifs. C’est la mission de Mathilde, psychologue, qui vérifie aussi les fragilités psychologiques, l’anxiété, la dépression ou même les éléments traumatiques de l’histoire de vie.
Évaluer les troubles
Parfois ce sont les aidants qui ont un doute et qui partagent leur inquiétude avec elle, comme dans le cas de cette patiente, ancienne institutrice de 80 ans qui avait chuté et s’était cassé la clavicule. Selon son fils, elle avait des absences et apparaissait parfois incohérente. L’intervention a démontré que ce n’était pas le cas et Mathilde a ainsi pu rassurer la famille.
Dans le cas contraire, elle aurait pu orienter la patiente vers l’hôpital de jour afin de consulter une psychologue spécialisée et de réaliser des tests plus complets et ainsi aboutir à un diagnostic. Autant de situations complexes qui entrainent des cas de refus et de déni. « Lorsque qu’il y a des troubles ou une perte manifeste d’autonomie, il faut parfois laisser le temps de l’acceptation qui doit être respecté. Sans cela, notre intervention est vouée à l’échec. A force d’expliquer on finit par ouvrir de petites portes. Nos interventions prennent aussi en compte les souhaits du patient », explique Mathilde.
Des interventions parfois complexes
La principale difficulté pour l’équipe mobile est de pouvoir pénétrer dans le domicile. Un travail de patience qui leur demande parfois d’attendre et d’insister de longues minutes devant la porte. Martin, l’un des deux médecins gériatres, se souvient : « Nous sommes intervenus dans un immense appartement à la sortie d’Aix-en-Provence. Une dame âgée se trouvait dans une chambre vide, sans pouvoir sortir, si ce n’est pour faire d’incessants allers-retours en service de rééducation. Elle criait toute la journée et jetait ses excréments contre les murs. Son mari n’arrivait plus à supporter la situation et pourtant il refusait, ainsi que le reste de la famille, une prise en charge en Ehpad ».
Pour sortir de cette situation, le médecin gériatre a travaillé en concertation avec tous les partenaires pour les convaincre : « Au bout de deux mois, la famille a finalement accepté et la situation s’est considérablement améliorée pour tout le monde. En Ehpad, elle a cessé de crier et a retrouvé une intégrité physique. Puis la situation financière familiale s’est normalisée, à la suite à l’obtention d’une aide sociale pour financer l’établissement. Le mari a finalement pu quitter son logement pour un appartement plus petit et mieux adapté ».
Un récit qui montre aussi que, parfois, les aidants sont eux-mêmes des personnes âgées en souffrance. Les couples sont ainsi souvent évalués ensemble afin de prendre en compte le niveau de fatigue et la charge du plus aidant.
Dans d’autres cas, ils sont l’aidant principal de personnes plus jeunes, par exemple d’un enfant handicapé. « Nous avions réalisé une double visite chez une mère de 89 ans qui s’occupait encore de sa fille de 68 ans souffrant de gros troubles psychiatriques. Elle était épuisée », se souvient le gériatre.
Un service en devenir
Mis en place en 2020, l’EMG EH a totalement trouvé sa place et son utilité avec l’arrivée de la crise sanitaire. Après avoir fait l’objet de quelques articles de presse, elle s’est surtout fait connaitre par le bouche-à-oreille au fil des interventions. Aujourd’hui, déjà bien identifiée par les professionnels de santé et les structures médicales, l’équipe est de plus en plus sollicitée pour ses expertises.
En 2021, ce sont quelque 280 patients qui ont été évalués dont 180 qui ont fait l’objet d’une visite, soit le double de l’année 2020. Un modèle pionnier qui laisse présager de belles années de développement devant lui.
Orianne Olive