La contention dans les services de psychiatrie
Le colloque tenu au Sénat récemment par des psychiatres du Collectif des 39, a souligné très justement la dégradation des pratiques, dans les services de psychiatrie. La contention était quasiment devenue obsolète pour les soignants, médecins, psychologues et infirmiers, formés dans les années 70.
Cette pratique, déplorée, dont l’extension est reconnue, provient de la conjonction de plusieurs facteurs. Le plus important d’entre eux, est l’effet de la disparition des écoles d’infirmiers de secteur psychiatrique.
Cette formation spécifique permettait l’acquisition d’une réflexion sur la pratique, des stages en nombre suffisant dans les services de psychiatrie, aux pratiques diverses, et l’acquisition d’un savoir-faire auprès de leurs pairs expérimentés. La disparition de cette formation de qualité a cédé la place à un ersatz, celui de la formation commune avec les infirmiers Diplomés d’Etat, qui forme pour l’essentiel les forts contingents des infirmiers des services de mèdecine et de chirurgie. On peut s’interroger sur l’idéologie qui sous-tend cette décision. L’objectif économique est comme souvent l’adjuvant d’une pensée réductrice. Il justifie l’idée que l’apprentissage du métier infirmier, dans les services de mèdecine, permettra de facto de procurer des soins dans les services de psychiatrie, réputés moins techniques. Il y a là,une dangereuse réduction de la qualité des soins, car elle porte en elle le déni de la qualité du travail, de la reflexion, de la dynamique de l’équipe, au profit d’actes qui peuvent etre quantifiés ou protocolisés.
L’encadrement des cadres infirmiers est lui-meme reformaté et rares sont les cadres actuels qui ont béneficié de l’enseignement antérieur. La formation des cadres à la gestion des services, à l’efficacité, à l’expertise qualité, passe à coté de l’essentiel en psychiatrie, les relations humaines et leur complexité.
La mise en place d’une hiérarchie de cadres directement lièe à la Direction administrative et gestionnaire, renforce cette pratique gestionnaire, où le role du mèdecin se réduit à la prescription, et pert sa capacité d’animation d’une équipe, exclus souvent des réunions de transmission à l’instar des services de mèdecine et de chirurgie.
Ce processus aboutit à des conduites regrettables, qui pourraient etre évitées, mais surement pas grace à des protocoles institués. Cela voudrait dire que ces pratiques pourraient etre evitées si le mèdecin et le mèdecin seul pouvait juger de l’opportunité de celles-ci. Malheureusement, la prescription est totalement inopérante car le mèdecin doit tenir compte de la capacité humaine de l’équipe infirmière à faire face à un patient agité, de sa capacité à le rassurer et à entendre sa détresse. Il faut pour celà savoir travailler en équipe, savoir utiliser les ressources de chacun, et se sentir en sécurité, physique et psychique, se savoir soutenu par sa hiérarchie et non jugé ou susceptible d’etre épinglé par celle-ci, pouvoir échanger librement avec les psychologues du service et les mèdecins, n’avoir pas honte de parler de sa propre peur et des angoisses qu’elle suscite.
La mise en place d’un protocole ne peut qu’aggraver la banalisation de cette pratique, tout comme la mise en place d’une législation spécifique. Cette pratique sera alors légitimée.
Je ne vois pas comment un mèdecin pourrait refuser de prescrire une contention si l’équipe infirmière ne se sent pas capable de faire autrement. Celà induirait des attitudes de fuite, de repli, de perte de confiance, qui serait hautement préjudiciable au patient. Les lieux de reflexion, de discussion, où les membres d’une équipe, infirmiers, psychologues et mèdecins, pouvait échanger librement et se former à des pratiques désaliénistes disparaissent progressivement. Une pratique différente ne peut s’instituer qu’avec l’élevation du niveau de formation des équipes et ne peut pas décreter.
La banalisation de cette pratique est l’un des avatars qui a conduit la pratique de la psychiatrie à imaginer que le modèle médical hospitalier pourrait éloigner tout risque de pratique asilaire. On voit qu’il en est rien.
ActuSoins remercie Agnès Piernikarch pour ce partage. Blog médiapart
suzieQ is in the house of madness (chroniques d’une infirmière en psy) nous envoie cette réponse. Elle se dit consternée, atterrée, foudroyée !
Ainsi selon Mme Piernikarch, l’usage en augmentation des contentions dans les services psychiatriques serait imputable aux infirmiers DE qui depuis la réforme de 1992 (date à laquelle les études ISP et IDE ont fusionnées) seraient des “eratsz” de professionnels dénués de pensée clinique et donc de réflexion. Tout juste bon à réaliser des actes quantifiables et protocolisés.
Madame, pensez-vous réellement que nous sommes, nous IDE, les responsables de cette augmentation de l’usage des contentions? C’est pourtant vous, médecins, qui les prescrivez non? Nous, que ce soit pour les contentions ou pour le recours aux chambres d’isolement, nous n’agissons que dans le cadre de notre rôle prescrit. Alors comment pourrions nous prendre la responsabilité d’un acte dont nous ne sommes pas les prescripteurs? Et comment pourriez vous échapper à la vôtre? Ah je n’avais pas bien lu la réponse est plus loin dans votre texte. Je vous cite “Je ne vois pas comment un médecin pourrait refuser de prescrire une contention si l’équipe infirmière ne se sent pas capable de faire autrement”… Donc vos prescriptions ne seraient là que pour satisfaire les IDE mais en aucun cas dans l’intérêt du patient. Étrange non et déconnant surtout ?
Je réfute l’idée d’infirmiers de secteur psychiatrique qui seraient des références soignantes, des sages que nous devrions admirer comme des modèles de réflexion cliniques. Ce raisonnement clivant qui laisse à penser qu’il y aurait d’un côté les bons soignants à savoir les ISP et lDE l’autre côté, les mauvais c’est à dire les infirmiers formés dans les services de médecine et de chirurgie est hautement réducteur et ne saurait faire honneur à votre capacité réflexive que vous mettez tant en avant. Des bons, j’en croise, souvent et si certains sont des “anciens” comme on aime à les appeler, d’autres, passionnés sont de tout jeunes diplômés.
C’est vrai, nous avons découvert notre métier au travers de nombreux lieux de stages. Médecine, chirurgie… La psychiatrie n’était qu’un lieu de stage parmi les autres. et pourtant nous avons choisi de venir y bosser. C’est donc en parfaite connaissance de cause que nous avons fait ce choix. Parce que beaucoup d’entre nous ne se retrouvaient pas dans les soins généraux où justement tout y est protocolisé et quantifié. Mais il ne s’agit pas d’un choix par défaut pour autant. Non, nous sommes nombreux à avoir fait le choix de la psychiatrie car nous aimons la nécessaire réflexion qu’il y faut, la possibilité d’émettre des hypothèses et de les valider ou pas en équipe pluridisciplinaire. Nous sommes tout aussi nombreux à y travailler parce que nous nous interrogeons sur la frontière ténue qui existe entre la folie et la normalité.
Encore pire que celle de 1992 paraît-il, je suis issue de la réforme de 2009. Et pourtant j’aime la psychiatrie, j’ai fait le choix d’y venir il n’y aura pas de retour en arrière. Ma pensée clinique se construit chaque jour en s’appuyant sur des modèles découverts soit pendant mes études soit au cours de mes recherches (… car oui le nouveau programme infirmier fait de l’infirmier un professionnel qui sait se documenter…). Ainsi mes références vont de Jean Oury à Walter Hesbeen en passant par Carl Rogers. J’aime ces lieux chargés d’histoire, depuis Bicêtre et Saint-Anne à la clinique de La Borde. Et j’aime les théories du soin: à l’approche psychanalytique étudiée en IFSI, j’ai développé un intérêt pour les TCC et autres théories anglo-saxonnes. Et ces protocoles, ces recueils à visées statistiques, cet ultra-hygiénisme repoussant qu’on veut me faire avaler, adopter, appliquer, et bien de ces OTNI (objets technocratiques non intelligents), pardonnez ma vulgarité, je m’en tamponne le coquillard…
Si vous avez parfois l’impression que nous sommes insistants en vue de l’obtention d’une prescription de contention c’est peut-être parce que nous ne regardons pas la scène qui se joue sous nos yeux par le même prisme. à la prise en charge individuelle d’un patient, nous avons, nous infirmiers, la charge d’assurer la prise en charge collective, la cohésion d’un groupe de patient, faire en sorte qu’un service fonctionne sans heurt ni violence et que les plus faibles de nos patients ne soient pas abusé et ce 24h/24, 7j/7. 2 ou 3 infirmiers dans un service pour 20 à 30 patients c’est bien peu lorsqu’il s’agit de gérer ces multiples petits conflits du quotidien, ces innombrables portes à ouvrir et ces objets qu’il faut charger et recharger encore et encore (merci l’arrivée des cigarettes électroniques, on en avait déjà assez avec les smartphones…).
Demander une prescription de contention, ce n’est pas l’exiger. Si nous la demandons, c’est parce que notre lecture de la scène nous fait dire que cette prescription sera bénéfique au patient. Vous n’êtes pas d’accord: très bien ! Débattons, échangeons, discutons ! Vous avez votre libre arbitre et donc la possibilité de refuser. Là demander c’est amorcer un dialogue avec vous médecin, c’est le début d’un échange clinique qui verra s’affronter plusieurs points de vue qui seront susceptible d’évoluer.
Nous faire porter la responsabilité de ce qui part en vrille en psychiatrie, c’est nous accorder bien du pouvoir, alors que nous ne sommes que trop rarement mis en avant lors des succès thérapeutiques. Malheureusement et nous le déplorons nous ne sommes que les chevilles ouvrières de la mécanique bien huilée qu’est l’hôpital. Souvent invisible, souvent anonyme, on ne retient, dans le meilleur des cas, que notre prénom…Si on en est encore aujourd’hui – plus de 200 ans après sa mort – à citer comme quasi-unique référence infirmière en psychiatrie Jean-Baptiste Pussin c’est dire le peu de poids que nous accorde l’histoire de la psychiatrie.
Enfin, nous faire endosser cette responsabilité c’est aussi vous en exclure. Je ne vous connais pas, Madame, et pourtant je n’ai aucun doute sur votre professionnalisme. Mais qu’en est-il de vos collègues? Sont-ils tous aussi exemplaires que vous, soucieux d’augmenter les temps d’échanges cliniques, ont-il tous ce désir d’animer une équipe, le désaliénisme est-il au cœur de leurs préoccupations ? à ces questions je n’ai pas la réponse. Mais sachez que nous aussi, nous nourrissons des regrets. Combien de psychiatre se contentent de visites éclairs dans les services, accordant quelques minutes d’écoute à peine à des patients en difficulté à exprimer leur souffrance ? Et ces consignes médicales parfois si difficile à respecter qu’elles semblent avoir été écrites que pour mieux vous protéger. Je le sais, vous êtes demandés partout et malgré vos nombreuses qualités vous n’avez pas encore le don d’ubiquité. Dommage car dans les services c’est bien nous, ISP (il en reste quelques uns…) et IDE confondus, qui devons avec une inventivité sans cesse renouveler trouver des réponses aux questions que se posent les patients.
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