La Maison des femmes de la Pitié-Salpêtrière : un lieu d’accueil pour les victimes de violences

La Maison des femmes de la Pitié-Salpêtrière : un lieu d’accueil pour les victimes de violences

Ouvert depuis 2021, le Centre d’accueil en santé sexuelle et de lutte contre les violences (Casavia) de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) prend en charge, dans le cadre d’un parcours pluriprofessionnel, les femmes majeures victimes de violences.

Carine Rignani, infirmière, reçoit en premier accueil, une patiente victime de violences conjugales, venue chercher du soutien à Casavia.
Carine Rignani, infirmière, reçoit en premier accueil, une patiente victime de violences conjugales, venue chercher du soutien à Casavia.

Dans le bureau, Sonia Bartel, infirmière à Casavia, accueille Julie*, en larmes. Elle confie avoir perdu poids et cheveux depuis quelques semaines car elle traverse une période de stress intense. « Je suis désolée mais il fallait que je vienne, je n’en peux plus, je n’en peux plus, j’ai besoin d’aide », répète-t-elle.

Mariée depuis 35 ans, elle a réalisé, il y a une semaine, que son conjoint lui fait subir des violences psychologiques. « Le plus dur, c’est de ne m’en rendre compte que maintenant, je n’ai rien vu pendant toutes ces années. C’est extrêmement violent de réaliser que je vis avec un bourreau qui me blesse volontairement. »

Hier, à bout, elle s’est rendue aux urgences, pour être prise en charge par un psychiatre. C’est lui qui l’a orientée vers Casavia. Cette Maison des femmes a ouvert ses portes en 2021. À l’origine, il s’agissait d’un centre de santé sexuelle.

« Dans nos prises en charge, la question des violences revenait souvent, mais face à cette réalité, nous n’avions pas de solutions concrètes à proposer aux femmes », explique Carine Rignani, infirmière au planning familial et conseillère conjugale et familiale à la Maison des femmes. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer cet espace dédié, où les femmes peuvent, au même endroit, bénéficier d’une prise en charge globale médicale et paramédicale, rencontrer des travailleurs sociaux, des juristes et déposer plainte, tout en bénéficiant d’ateliers thérapeutiques. « Nous proposons une prise en charge pluridisciplinaire et cherchons à faciliter le circuit des femmes en état de stress », ajoute-t-elle.

Dans ce lieu confidentiel, les femmes bénéficient d’un parcours personnalisé pour se reconstruire et sortir du cercle de l’emprise.

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans le n°51 d’ActuSoins magazine (janvier 2024).

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La prise en charge

Les demandes de prises en charge peuvent venir des femmes, qui se présentent directement à Casavia, écrivent ou appellent, d’une orientation par un professionnel de santé, ou d’une proposition de l’équipe, qui se rend compte lors d’une consultation au planning familial, que la femme est victime de violences.

Une fiche de renseignements (ou fiche de liaison si la demande vient d’un professionnel) est alors remplie, « afin que nous disposions des premiers éléments pour la prise en charge », rapporte le Dr Sophie Duchesne, gynécologue-obstétricienne et médecin légiste.

Elle est transmise à l’un des professionnels médicaux de la structure, coordonnateur de parcours, qui décide soit de recevoir la patiente pour un premier rendez-vous, soit de l’orienter vers un premier accueil. Ce dernier est réalisé par Carine Rignani ou par une intervenante sociale, « lorsque la demande de la patiente n’est pas suffisamment claire ou lorsque les délais pour un premier rendez- vous médical sont trop longs », explique Delphine Giraud, sage-femme.

L’équipe de la Maison des femmes propose un accompagnement pluriprofessionnel et coordonné. Pour être prises en charge, elles doivent donc avoir besoin d’une aide dans au moins deux accompagnements sur quatre à savoir le social, le psychique, le somatique et le juridique.

En cette fin de matinée, Carine Rignani reçoit justement une femme d’une soixantaine d’années pour un premier accueil. Dans son enfance, elle a été victime d’inceste et de viols à plusieurs reprises. Aujourd’hui, en arrêt pour burn-out à la suite d’un harcèlement professionnel, elle a contacté Casavia sur les conseils de son psychiatre, car elle ne parvient plus à sortir de cette situation. Carine Rignani a confirmé sa prise en charge et lui a expliqué l’aide dont elle allait bénéficier.

Un parcours à plusieurs entrées

Lorsqu’elles sont intégrées à Casavia, les femmes bénéficient d’un parcours de suivi co-construit entre elles et les professionnels de santé de l’équipe, en fonction des priorités identifiées.

Les violences qu’elles ont subies peuvent venir de contextes variés (conjugales, intrafamiliales, migratoires, professionnelles) et peuvent aussi bien être physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques.

Outre l’accompagnement par un professionnel référent médical (gynécologue, sage-femme, médecin généraliste), qui évalue leur santé somatique et mentale, et assure le suivi de leur parcours, elles peuvent bénéficier d’une aide psychologique avec un psychologue, un psychiatre ou la conseillère conjugale et familiale ; d’un accompagnement par une sexologue ou encore d’un accompagnement social.

Casavia leur propose aussi des permanences juridiques avec deux associations et une permanence policière pour le dépôt de plainte sur place. Enfin, elles peuvent participer à des ateliers thérapeutiques : yoga, danse, karaté, atelier estime de soi et socio-esthétique. « Les ateliers ne sont pas toujours proposés dans l’immédiat, car les femmes doivent s’être reconstruites un minimum pour ne pas décompenser pendant la séance », prévient Carine Rignani.

Le suivi proposé est effectué pendant plusieurs mois afin que les femmes prennent conscience d’être victimes de violences, sortent de l’emprise et se reconstruisent.

Un soutien sans faille

L’empathie, l’encouragement, la bienveillance, l’écoute et la mise en confiance sont au coeur de la prise en charge. « En tant qu’infirmières certes nous soignons le corps et les plaies, mais ici nous soignons l’âme avec de la bienveillance et de l’empathie », confie Sonia Bartel.

« Lors des premiers rendez-vous puis tout au long de leur parcours, nous les encourageons et les félicitons d’être venues jusqu’à nous, poursuit Carine Rignani. Ces femmes ont souvent une mauvaise estime d’ellesmêmes, elles ont été isolées, nous nous devons donc de les encourager dans leur démarche, de leur dire que nous les croyons, et qu’elles n’y sont pour rien. » Ce cadre sécurisant va leur permettre de libérer leur parole.

Autre point fondamental : identifier l’urgence de la situation. La Maison des femmes n’est en aucun cas un dispositif d’urgence. Cependant, si l’équipe estime que la femme est en situation de danger immédiat, un accompagnement spécifique peut être déclenché avec notamment une mise à l’abri par l’intermédiaire d’associations partenaires. Cette option est retenue lorsque la femme vient juste d’être violentée, si elle pense que sa vie ou celle de ses enfants est menacée, si le conjoint est en possession d’une arme, s’il l’a menacée de mort ou encore si elle a pensé mettre fin à ses jours. Dans tous les cas, l’équipe encourage au maximum les femmes à porter plainte contre leur agresseur.

Pour parvenir à accompagner au mieux ces femmes, les professionnels de Casavia ont été formés notamment à la Maison des femmes de Saint-Denis, pionnière dans cette prise en charge pluridisciplinaire. « Il est important d’être formé à entendre et à accueillir la parole des femmes victimes de violences », souligne Delphine Giraud. Et Carine Rignani de conclure : « Personnellement, j’ai décidé de devenir conseillère sociale et familiale, car j’ai ressenti le besoin d’être mieux armée pour ne plus me sentir en difficulté émotionnelle lors de l’accueil de ces femmes. Leurs récits sont difficiles à entendre régulièrement, et je souhaitais pouvoir leur offrir une meilleure prise en charge et une meilleure écoute. » En 2021, 162 femmes ont été intégrées dans le parcours violences de Casavia. Ce chiffre s’est élevé à 335 en 2022.

*Le prénom a été modifié

Laure Martin

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