Plaies aiguës des personnes âgées : prendre en compte les particularités liées à l’âge

Plaies aiguës des personnes âgées : prendre en compte les particularités liées à l’âge

Le processus naturel de vieillissement et les maladies chroniques – dont la prévalence augmente avec l’âge – peuvent affecter la capacité du corps à cicatriser efficacement. La prise en charge des plaies aiguës chez les seniors tient compte de ces particularités.

Les seniors, population âgée de 65 ans ou plus, sont souvent victimes d’accidents domestiques ou de la circulation à l’origine de plaies aiguës telles que des dermabrasions, des brûlures ou des hématomes. Pour assurer une prise en soins optimale de ces blessures, il est essentiel de comprendre le processus de vieillissement, qui induit plusieurs changements physiologiques, notamment au niveau de la peau.

Comparaison d’une peau jeune (à gauche) et d’une peau mature (à droite)
Comparaison d’une peau jeune (à gauche) et d’une peau mature (à droite). © ShutterStock

Effets du vieillissement sur la peau

La peau subit des dommages moléculaires et cellulaires au fi l du temps, suivants deux mécanismes concomitants : un vieillissement général génétique (sénescence) et un vieillissement photo-induit propre à la peau. Tous ces changements sont à l’origine du ralentissement de la cicatrisation.

À la surface de l’épiderme, l’adhésion des cornéocytes est diminuée. La réduction des secrétions sudorales et sébacées entraîne une déshydratation de la couche cornée. Le renouvellement des kératinocytes est ralenti. Leur alignement est moins régulier et ils montrent des formes et des tailles moins homogènes. La jonction dermoépidermique est aplatie. La diminution des mélanocytes induit une protection moindre contre les UV, augmentant le risque de cancers cutanés.

Au niveau du derme, les fibroblastes se trouvent également diminués. On observe une dégradation des fibres de collagène et de l’élastine causant la perte en fermeté du tissu, avec l’apparition de rides. Les fibres de collagène sont appauvries, plus épaisses, plus grossières et leur organisation est moins régulière. La synthèse d’acide hyaluronique est inhibée.

Le réseau vasculaire est moins riche avec une disparition progressive des anses capillaires. La peau est donc plus pâle et régule moins bien la température. La paroi des vaisseaux s’amincit, ce qui rend les capillaires plus fragiles. Cela se traduit par une propension accrue aux ecchymoses et aux plaies, au moindre traumatisme. Cette fragilité est particulièrement marquée sur le dos des mains et sur les avant-bras.

La peau devient progressivement plus fine, plus sèche et moins élastique, se creusant davantage. En même temps, sa fragilité augmente.

La dermatoporose, désigne, selon le Pr Saurat (dermatologue à l’origine de ce terme), une atrophie importante de la peau. Elle équivaut à l’ostéoporose pour les os : avec l’âge, les os se fragilisent, tout comme la peau (on parle de dermatoporose iatrogénique lors de traitement long par corticoïdes). Elle s’installe entre 70 et 90 ans avec une prédominance chez les femmes, en particulier sur les zones exposées au soleil. La peau est extrêmement fine, presque translucide. Dans 20 % à 40 % des cas, des pseudo-cicatrices blanchâtres de forme linéaire ou en étoile sont observées, principalement sur le dos des mains et les avant-bras. Le purpura de Bateman, retrouvé dans 10 % des cas, se caractérise par des taches rouges violacées ressemblant à des ecchymoses qui évoluent progressivement vers une teinte brunâtre. Ces lésions résultent de l’extravasation d’hématies dans le derme et sont causées par des traumatismes associés à de petites hémorragies.

Classification de la dermatoporose selon Pr Gürkan Kaya

Stade 1 Stade 2 Stade 3 Stade 4
Atrophie cutanée, purpura sénile et pseudocicatrices. Lacération cutanée localisée. Lacération plus importante. Hématome important. Hématome disséquant.

Maladies chroniques des personnes âgées

Le vieillissement est fréquemment associé à des maladies chroniques dont la prévalence augmente avec l’âge. Ces pathologies peuvent également compromettre le processus de cicatrisation.

Selon des chiffres datés de 2019, 91 % des 75 ans ou plus ont au moins une pathologie ou un traitement chronique. À partir de 75 ans, 17 % des femmes et 26 % des hommes cumulent au moins trois pathologies. Les maladies cardiovasculaires et les cancers sont fréquents.

À ces deux catégories, il faut ajouter le diabète, les maladies dégénératives (arthrose, ostéoporose), la bronchopneumopathie chronique obstructive, l’insuffi sance veineuse, l’incontinence, et les maladies neurologiques. De surcroît, la dégradation progressive des capacités physiques (défi cits visuel et auditif) et mentales (dépression, démence) entraîne bien souvent une diminution de la mobilité.

À tout cela, peut s’ajouter un problème de dénutrition, fréquent dans cette population. En France, plus de deux millions de personnes âgées en souffrent. Cela se caractérise par des carences en protéines et en vitamines C et D. Entre 4 % et 10 % des personnes âgées vivant à domicile sont touchées tandis que ce pourcentage varie entre 15 % et 38 % en institution et entre 30 % et 70 % à l’hôpital. Les besoins nutritionnels d’une personne âgée sont toujours importants mais ne sont pas toujours comblés pour de multiples raisons telles que la perte d’appétit, l’isolement social, les troubles cognitifs, la prise de médicaments multiples, les difficultés financières ou encore les problèmes bucco-dentaires.

Ainsi avec l’âge, le cumul des facteurs de risque favorise le risque de chronicisation (absence de cicatrisation après six semaines) et de gravité des plaies.

Principales pathologies chroniques chez les personnes âgées

Principales pathologies chroniques chez les personnes âgées

Différentes plaies aiguës

La prise en charge des plaies aiguës chez les personnes âgées repose sur deux piliers : une approche gériatrique globale et la prise de conscience de l’impératif de traiter ces lésions. Ces plaies posent en effet un défi en raison de leurs répercussions potentiellement graves. Les stratégies de prévention doivent être systématiques et les traitements adaptés en fonction de la nature spécifique de la blessure.

Plaies traumatiques

Les chutes représentent 80 % des accidents de la vie courante après 65 ans, selon l’Enquête permanente sur les accidents de la vie courante (EPAC) de Santé Publique France de 2017. La plupart de ces chutes (entre 61 % et 66 %) se produisent à domicile ou dans ses abords immédiats, tandis que 15 % surviennent dans les lieux publics et les zones de transports. Les troubles de la vue et de l’équilibre, l’isolement social et un habitat peu adapté sont des facteurs de risque majeurs.

peau personne âgée
© Mercure Innovation

Les déchirures cutanées sont fréquentes. Elles sont notamment liées à l’utilisation de fauteuils roulants (25 %), aux chocs avec un objet contondant (25 %) et aux manoeuvres de transfert (18 %). Pour prévenir ces blessures chez des patients présentant une dermatoporose, il existe des fi lets en gel de polymère qui permettent d’amortir les chocs (lavables et réutilisables).

Déchirure de type 2
Déchirure de type 2

Selon des travaux du Dr Kimberly Leblanc, infirmière et présidente de la Chaire universitaire des Infirmières spécialisées en plaies, stomies et continence (Canada), 50 % de ces déchirures peuvent se transformer en plaies gravement infectées et en plaies chroniques. Ces déchirures doivent être classées en fonction de l’importance du décollement cutané (classification ISTAP).

  • Le type 1 correspond à une déchirure linéaire et à un lambeau pouvant être repositionné pour couvrir la plaie,
  • le type 2 est défini par une perte partielle du lambeau cutané qui ne peut pas être repositionné pour couvrir la plaie,
  • le type 3 est une perte totale du lambeau qui expose le lit entier de la plaie.
Déchirure de type 3
Déchirure de type 3

En cas de déchirure, il est recommandé de repositionner délicatement un lambeau viable (à l’aide de deux écouvillons) et de débrider un lambeau nécrotique. Localement les déchirures doivent être traitées par des pansements protecteurs : interfaces, pansements siliconés, hydrocellulaires non adhésifs, ou des alginates si la plaie est hémorragique. De nouveaux pansements en fibre de Lycra induit sur une face de silicone (non remboursés à ce jour) peuvent traiter ces plaies traumatiques en restant en place jusqu’à 14 jours.

Pansement en fi bre de Lycra
Pansement en fi bre de Lycra © Mercure Innovation

En revanche, il est fortement déconseillé d’utiliser des sutures, des agrafes, des pansements secs, des hydrocolloïdes ou des films transparents du fait de leur forte adhésivité.

Les hématomes peuvent être plus ou moins importants et certains facteurs de risque incluent les traitements anticoagulants et antiagrégants, la corticothérapie, la dénutrition, l’insuffisance rénale et le terrain de dermatoporose. L’hématome sous-cutané se manifeste par un amas de sang entre le tissu sous-cutané (hypoderme) et le fascia musculaire (qui fait saillie sous la peau), tandis que l’ecchymose se limite au derme, avec une surface de peau intacte, et se caractérise par une couleur bleue, noire ou violacée. Le terme « hématome disséquant » qualifie le phénomène de progression de cet amas sous pression, entre peau et fascia.

Hématome du bras.
Hématome du bras. © Équipe mobile Plaies CHU Montpellier

Deux types d’hématomes peuvent être observés : ceux qui restent sous la peau (à peau « fermée ») et ceux qui présentent une nécrose par hyperpression. Aussi, les infirmiers doivent assurer une surveillance régulière devant tout hématome débutant, marquer les contours de celui-ci et demander un avis médical si nécessaire, incluant une radio en cas de suspicion de fracture, un bilan sanguin (NFS, Coag, CRP, Albumine), une échographie des parties molles ainsi qu’un doppler artériel et veineux si l’hématome se situe sur les membres inférieurs. Dans certains cas un avis chirurgical est nécessaire pour envisager une mise à plat de l’hématome.

Les brûlures chez les personnes âgées peuvent par exemple être causées par l’exposition aux rayons UV, la manipulation de breuvages chauds ou d’huiles de cuisson. À un âge avancé, ces brûlures sont généralement plus profondes en raison de la fragilité cutanée et de la diminution de la sensibilité à la chaleur. Si les soins à prodiguer restent les mêmes que pour les adultes plus jeunes, la brûlure chez le sujet âgé est jugée grave dès 5 % à 10 % de surface corporelle atteinte (contre + de 15 % chez les adultes plus jeunes). En ce qui concerne le pronostic vital, la règle de Baux est appliquée. Elle permet de déterminer la gravité d’une brûlure en additionnant l’âge du patient à la surface brûlée. Si la somme dépasse 100, le pronostic vital est compromis avec des chances de survie inférieures à 10 %. Si le patient souffre d’une pathologie chronique (comme le diabète, l’insuffisance cardiaque etc.), 15 ans sont ajoutés à l’âge dans le calcul initial.

La dermite associée à l’incontinence (DAI)

La DAI dermatite associée à l’incontinence se développe à la suite d’une exposition prolongée des régions périnéales et anales aux urines et/ou aux selles, provoquant une inflammation de l’épiderme. Elle se manifeste par un érythème cutané avec ou sans érosion, pouvant aller jusqu’à la dénudation. Il est crucial de savoir la diagnostiquer et évaluer sa gravité. Les soins nécessitent une hygiène rigoureuse, la gestion de l’incontinence ainsi que l’utilisation d’agents hydratants protecteurs et réparateurs.

Les plaies chirurgicales

En présence de plaies post-opératoires, une surveillance accrue de la peau périlésionelle est nécessaire. Cependant, ce n’est pas tant la plaie en elle-même, mais l’impact émotionnel et fonctionnel de l’intervention chirurgicale qui peut être particulièrement difficile à vivre pour une personne âgée.

Les autres plaies

Les lésions causées par le grattage sont souvent associées à un prurit qui résulte principalement d’une sécheresse cutanée (la xérose est présente chez 55 % des personnes de plus de 65 ans et nécessite une hydratation quotidienne). En cas de persistance du prurit, un avis médical est recommandé pour déterminer la cause sous-jacente (toxidermie, eczéma, gale, etc.).

La présence de bulles doit être considérée comme un signe d’alerte, évoquant des affections cutanées auto-immunes telles que la pemphigoïde bulleuse, qui affecte principalement les personnes de plus de 70 ans. Les bulles se localisent généralement au niveau du tronc et des membres. Le traitement principal de cette maladie repose sur la corticothérapie générale et/ou locale, à long terme. Le pronostic vital est sombre, avec un taux de décès variant de 12 % à 40 % dans l’année suivant le diagnostic.

Bibliographie

« Les accidents et agressions corporelles chez les personnes âgées », X. Thierry. Population & Sociétés, n° 468, 2010, site de l’Inedn : www.ined.fr.
« Synthèse de l’état de santé de la population en France », 2022, DREES.
« Introducing a new validated Skin Tear Classification System », K Leblanc. Journal of Wound Ostomy and Continence Nursing, n° 40, 2013.
« L’hématome chez la personne âgée A. Lallemand », S. Palmier, C. Humbert, S. Vernet. L’infirmière Magazine, n° 390, 2018.
« Dermatoporose : un syndrome émergent », G. Kaya. Revue médicale Suisse Dermatologie, 2008.
« Plaies et cicatrisation : guide pratique pour les IDE », S. Palmier, M. Garulo, 3e édition 2023 Lamarre.
« La DAI dermatite associée à l’incontinence : la connaître, l’empêcher, la reconnaître, la traiter », S. Palmier, Actu- Soins n°47, 2023.

Sylvie PALMIER
Formatrice spécialisée en Plaies et Cicatrisation
ancienne infirmière experte de l’unité mobile du CHU de Montpellier

Je m'abonne à la newsletter ActuSoins 

Cet article a été publié dans ActuSoins MagazineActusoins magazine pour infirmière infirmier libéral
Il est à présent en accès libre.
ActuSoins vit grâce à ses abonnés et garantit une information indépendante et objective.
Pour contribuer à soutenir ActuSoins, tout en recevant un magazine complet (plus de 70 pages d’informations professionnelles, de reportages et d’enquêtes exclusives) tous les trimestres, nous vous invitons donc à vous abonner.
Pour s’ abonner au magazine, c’est ICI

Abonnez-vous au magazine Actusoins

 

 


Soyez le premier à laisser un commentaire !

Réagir

Articles complémentaires