Service sanitaire des étudiants en santé : un dispositif approuvé mais perfectible

Service sanitaire des étudiants en santé : un dispositif approuvé mais perfectible

Lancé en 2018, le service sanitaire vise à faire participer tous les étudiants en santé, dont les étudiants en soins infirmiers (ESI), à des actions de prévention auprès de la population. Cinq ans plus tard, qu’en est-il de sa mise en oeuvre ?

En quoi consiste ce service sanitaire de six semaines ?

service sanitaire étudiants en santé
Pour leur service sanitaire, les étudiants en santé peuvent par exemple choisir de s’inscrire dans une démarche de prévention buccodentaire auprès des enfants. © ShutterStock/Abo Photography

Nutrition, activité physique, vie affective et sexuelle, vaccination, sommeil, écrans, hygiène bucco-dentaire, tabagisme, alcool, drogues, parentalité : les thématiques du service sanitaire sont variées.

Son objectif global est de promouvoir des comportements favorables à la santé. Ainsi, le service sanitaire cible des publics larges, allant des plus jeunes dans les écoles, aux personnes âgées dans les Ehpad. Les actions, menées par des étudiants en santé, permettent à ces derniers de s’initier aux enjeux de la prévention primaire et de participer à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales pour l’accès en santé. Cela leur permet aussi de travailler en interprofessionnalité pour des collaborations plus efficaces et d’apprendre en mode projet.

Sur le terrain, l’accueil réservé au service sanitaire est mitigé. La mise en oeuvre du dispositif est questionnée et non sa finalité. « Avant même sa création officielle, les Instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) effectuaient du service sanitaire sans le savoir, indique Amanda Dubray, vice-présidente au bureau national du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) et responsable du suivi du service sanitaire. La prévention est au coeur des savoirs infirmiers. De fait, la mise en oeuvre du service sanitaire dans nos instituts n’a pas vraiment posé de problème. »

Mais Manon Morel, présidente de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi) nuance : « Sur le papier, le service sanitaire plaît aux ESI, car de cette manière, ils se sentent inclus dans la politique de santé et dans la prévention, avec des actions concrètes et de la pédagogie. Mais les modalités compliquent l’approche et engendrent une inégalité de déploiement sur le territoire. »

Actusoins magazine pour infirmière infirmier libéralCet article a été publié dans n°49 d’ActuSoins Magazine (juin-juillet-août 2023).

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Service sanitaire : le déroulement du projet

Le service sanitaire se déroule en deux temps : une partie théorique et une partie pratique. Chacune dure 105 heures, soit environ trois semaines et s’organise en petits groupes d’étudiants. À l’Ifsi du Chalonnais (Saôneet- Loire), « nous commençons la partie théorique dès la première année car des unités d’enseignement dédiées à la santé publique permettent de préparer les étudiants au service sanitaire », explique Arnaud Barras, cadre supérieur de santé et formateur à l’Ifsi-Ifas du Chalonnais au sein du Centre hospitalier (CH) William Morey.

Au lancement du service sanitaire, il a d’abord fallu réorganiser les agendas ainsi que le programme, et décider des unités d’enseignement (UE) et des semaines de stage à modifier ou réduire. « Nous avons, dans un premier temps, travaillé sur l’inclusion du service sanitaire dans les UE déjà existantes, afin de ne pas ajouter du temps de travail aux ESI », souligne Nathalie Favier, directrice adjointe de l’Ifsi du Centre hospitalier de Béziers.

L’organisation en place, l’équipe pédagogique a réfléchi au public à cibler. « Il nous a paru important de donner la possibilité de travailler sur un autre type de population que des patients, dans d’autres milieux que celui du soin pour donner du sens à la prévention », ajoute-t-elle.

« Nous avons souhaité nous extraire du champ de la santé afin que les ESI ne mélangent pas leurs postures », complète Émilie Vidal, cadre de santé formatrice à l’Ifsi du CH de Béziers.

Crèches, écoles primaires, associations type Secours populaire, Mission locale d’insertion, aide sociale à l’enfance, résidences pour séniors non médicalisées font ainsi partie des partenaires de l’Ifsi.

« Les premières années, ce n’était pas si simple, nous avons pris notre bâton de pèlerin pour les démarcher et aujourd’hui, certains viennent nous chercher », explique leur consoeur Nathalie Izquierdo, cadre de santé formatrice.

Du côté de Châlons-sur-Saône, ces dernières années, les interventions se sont principalement déroulées dans des lycées. « Nous étions passés par le rectorat et par les médecins scolaires, afin de savoir quels établissements étaient intéressés », explique Arnaud Barras, précisant que l’objectif était principalement d’impulser des changements de comportements dès le plus jeune âge. Depuis la promotion 2022-2023, l’Ifsi s’est tourné vers de nouveaux partenaires notamment des foyers logements, la protection de la jeunesse ou encore l’univers carcéral.

Service sanitaire : le travail en mode projet

Dans le cadre du service sanitaire, les ESI apprennent à travailler en mode projet. Ils doivent observer, analyser la population cible, élaborer des questionnaires afin de définir les besoins, déterminer les moyens d’actions associés, les réaliser puis les évaluer.

« L’objectif est de donner la possibilité aux ESI d’être autonomes sur une pratique pédagogique, en leur permettant d’aller au bout de leur réflexion », indique Nathalie Favier.

Les attendus sont d’ailleurs régulièrement sources d’inquiétudes, du moins dans un premier temps, les étudiants les trouvant flous et s’interrogeant sur leur capacité à y répondre. « Mais dès la deuxième semaine de terrain, ils se rendent compte qu’ils sont capables de produire des actions avec une grande créativité et d’être sources de propositions, se félicite-t-elle. Ils sont impliqués avec les partenaires et avec la population cible. »

Dans le cadre du travail en mode projet, les ESI doivent eux-mêmes créer leur support de prévention. « À titre d’exemple, pour le public de maternelle sur l’hygiène bucco-dentaire, certains ESI ont réalisé des pictogrammes sur l’importance du brossage des dents ainsi que des chansons », souligne Arnaud Barras.

La même année de formation, ils ont des cours sur l’Éducation thérapeutique du patient (ETP), ce qui leur permet d’appréhender ce qui relève de la posture éducative. À la fin de leur service sanitaire, « beaucoup se disent armés pour mener des actions de santé publique et pour transférer leurs connaissances dans le cadre de l’ETP », ajoute Nathalie Favier.

Service sanitaire : les difficultés de la pluriprofessionnalité

À l’origine, le service sanitaire a vocation à se mettre en place dans un cadre pluriprofessionnel. Mais ce déploiement rencontre des limites en fonction des territoires. Lorsque les Ifsi se trouvent sur des campus santé, la mise en oeuvre est plus simple que pour les Ifsi plus isolés.

En Bourgogne, le médecin responsable du service sanitaire à l’ARS a piloté son déploiement « d’une main de maître avec, dès l’origine, la volonté de mettre l’accent sur la pluriprofessionnalité », fait savoir Arnaud Barras.

De fait, les Ifsi de Bourgogne ont débuté leur service sanitaire avec les étudiants en médecine et en pharmacie. « Mais d’un point de vue organisationnel, la mise en oeuvre s’est avérée compliquée en raison des distances géographiques séparant les établissements », se rappelle- t-il.

Des groupes ont commencé à s’organiser mais les ESI étant plus nombreux, certains groupes n’étaient composés que d’eux tandis que d’autres, plus variés, étaient confrontés à des difficultés organisationnelles pour se retrouver, « génératrices d’inégalités et de déséquilibres dans la planification des actions », reconnaît Arnaud Barras.

Autre contrainte à la pluriprofessionnalité : les calendriers universitaires qui diffèrent d’une formation à l’autre. « Pour la mise en oeuvre de l’interprofessionnalité, nous nous sommes réunis à l’échelle du territoire dans le cadre d’un comité de mise en oeuvre, avec l’ensemble des structures de formation, afin de réfléchir au déploiement du service sanitaire, mais d’emblée, la première difficulté était liée aux variations du montage du dispositif ainsi qu’à la temporalité », confirme Nathalie Favier.

Il existe aussi des problématiques financières liées aux déplacements nécessaires des étudiants. « Si les établissements sont éloignés les uns des autres, il faut permettre aux ESI d’y aller sans avoir à avancer des frais », rappelle Manon Morel.

Aujourd’hui tout va dépendre de chaque Ifsi et de chaque région. « Nous plaidons pour davantage d’uniformité dans la mise en oeuvre du service sanitaire, insiste Manon Morel. Nous aimerions une feuille de route nationale avec des applications tenant compte des réalités du terrain et la création d’un fonds national réparti de manière identique et équitable entre tous les territoires. »

Service sanitaire : le point de vue des étudiants

Ninon Sancennot Étudiante en sciences infirmières
Ninon Sancennot Étudiante en sciences infirmières à l’Ifsi Théodore Simon (Neuilly-sur-Marne) @DR

Étudiante à l’Ifsi Théodore Simon (Neuilly-sur-Mar ne) Ninon Sancennot a effectué son service sanitaire dans un centre d’hébergement d’urgence pour jeunes migrants. Elle a travaillé en collaboration avec les assistants sociaux du foyer, avec deux autres ESI.

« La première semaine, nous avons rencontré quelques difficultés à définir ce sur quoi travailler », témoigne-t-elle.

Les étudiants ont alors élaboré un questionnaire autour de l’alimentation, du sommeil ou encore du tabac, et décidé de se concentrer sur les deux derniers points.

Après avoir posé les questions aux jeunes, ils ont réfléchi aux actions de prévention à déployer. « Nous avons proposé des ateliers avec des affiches sur le sommeil afin d’expliquer son déroulement, ce qu’il faut faire ou ne pas faire avant de dormir, poursuit-elle. Beaucoup y ont participé. Pendant toute la durée de notre intervention, nous avons évalué l’utilité de nos actions avec les travailleurs sociaux. J’ai trouvé cela vraiment très intéressant d’approcher cet aspect du soin : nous pouvons éviter, avec la prévention, que des personnes aient besoin d’être soignées. Cela relève aussi de notre rôle propre. »

Carla Septier Étudiante en sciences infirmières
Carla Septier Étudiante en sciences infirmières à l’Ifsi Théodore Simon (Neuilly-sur-Marne) ©DR

« Mon service sanitaire s’est déroulé dans une école maternelle en janvier, raconte à son tour Carla Septier, également ESI à l’Ifsi Théodore Simon.

Le choix du terrain et du groupe nous a été imposé par l’Ifsi. Le directeur de l’école maternelle a défini la thématique, à savoir l’hygiène. »

Le groupe a alors déterminé des objectifs à atteindre, rédigé des questions à poser aux enfants puis organisé les interventions dans les classes, pour expliquer l’intérêt de se laver les mains/les dents et comment faire. « J’ai apprécié travailler en mode projet, néanmoins, je trouve que le service sanitaire ne devrait pas être une priorité dans notre formation qui est déjà très dense. La durée pourrait être réduite », conclut l’étudiante.

Laure MARTIN

Cet article est paru dans ActuSoins MagazineActusoins magazine pour infirmière infirmier libéral
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